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Habitat groupé et territoires urbains délaissés, vers une nouvelle citoyenneté urbaine ?

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Si la thématique de l’habitat groupé constitue un champ de réflexion sur la ville encore peu exploré au sein de l’association urbAgora, elle n’en est pas moins une réalité interpellante à plusieurs titres.

Sur le plan du discours, tout d’abord, force est de constater depuis peu, un intérêt sensible des médias pour les expériences d’habitats alternatifs contrastant avec la marginalisation dont elles faisaient l’objet. L’on reparle ainsi des bienfaits de la colocation et du cohabitat en tant que communauté ouverte et pragmatique ayant réussi la synthèse de la réalisation de soi et du projet collectif ou encore, à l’échelle globale, l’on se prête à imaginer les villes futures avec leurs éco-quartiers, leurs centres végétalisés et piétonnisés où cohabitent TC, endroits réservés aux enfants, jeux, promenades, etc (Item 1 : Représentations de l’habitat).

Sur le plan de la forme prise dans la concrétisation de l’habitat groupé ensuite, l’on ne peut s’empêcher de songer au développement progressif d’une nouvelle forme de droit à la ville attendu que l’offre d’habitat intermédiaire entre hébergement collectif et domicile individuel dont l’HG est porteur pourrait in fine se muer en un véritable tiers secteur entre le marché locatif/d’acquisition privé et le parc locatif social à l’image du Québec et de la Scandinavie. Cette perspective interroge ici singulièrement l’accès au logement et subséquemment les modalités dont les équipements du pouvoir peuvent s’en emparer (Item 2 : Politiques du logement/Droit à la ville).

En repartant de ces deux items, cette contribution a pour objet de tenter d’éclairer certains aspects d’une prospective urbaine incluant la question de l’HG au sein des quartiers « délaissés » à l’échelle de l’agglomération liégeoise, de ses quartiers centraux et périphériques mais également de ses zones suburbaines proches. Nous émettons en effet l’hypothèse (faite également d’intuitions et d’espérances) selon laquelle le développement d’initiatives d’HG au coeur du tissu urbain liégeois constitue un puissant levier permettant de contrecarrer sinon d’inverser l’étalement urbain (dont les effets délétères se révèlent lourds de conséquences) à la faveur d’une reconquête solidaire de la ville-centre.

Pour autant, il nous a paru nécessaire de replacer les enjeux de « l’habitat non ordinaire » dans le contexte économique et social de la ville post-fordiste. Trop souvent en effet, nos quartiers, portions de ville ou unités d’habitations se voient (re)qualifiées sur le mode du stigmate, de la pathologie floutant toute analyse en termes de dominations. L’HG en tant qu’acteur émergeant du mouvement social urbain (renaissant) n’échappe pas à notre sens à une réflexion sur l’occupation de l’espace en termes de luttes pour l’appropriation des territoires et des instances de pouvoir. À la croisée des chemins quant aux nouvelles pistes de « vivre ensemble » portées par l’HG, réinvestissant l’agglomération liégeoise dans le cadre de parcours résidentiels en mutations tout en subissant dans les mêmes temps exclusion économique et sociale, la population des jeunes urbains (18-35 ans) constituera le fil d’Ariane de notre réflexion.

1. Fragmentation des territoires urbains et habitat dégroupé ou le siècle des utopies déçues

Les modes d’habiter, les habitudes ou encore l’habitus propre à nos milieux sociaux revoient de tous temps aux relations groupales et d’intimité nouées au sein d’un environnement donné. Si l’habitat individuel ou unifamilial du type « simili-fermette » 4 façades en milieu rurbain ou de « l’immeuble de caractère » rénové en loft en milieu urbain sont souvent (re)présentés comme norme sociale majoritaire (et indépassable), elle n’en reflète pas moins l’hégémonie d’une « culture moyenne » (ACCARDO, 2009). La mise en avant de l’Habitat Groupé pose dès lors la question de l’habitat dégroupé et de sa maturation et partant, de ses conséquences.

La prépondérance du modèle de « l’habitat dégroupé » de nos régions (« syndrome de la brique dans le ventre ») ainsi que les trajectoires résidentielles des jeunes adultes sont jusqu’à nos jours largement contraintes par la structuration de l’espace produite par les phases antérieures de l’urbanisation. À première vue en effet, le recours à un HG est loin d’être révolutionnaire, celui-ci se retrouve en effet dans les pratiques ancestrales de l’habitat depuis l’antiquité jusqu’au XIXe siècle. L’HG du XXIe emprunte ainsi au communalisme |1| d’autrefois avec la différence notoire que l’habitat de l’Ancien Régime autoconstruit (par la famille, guilde ou corporation) était très largement subit (issu de la tradition) et non choisi.

Le XIXe siècle et la re-configuration des forces productives particulièrement précoces en pays de Liège constitue une époque charnière dans le rapport à l’habitat. Avec le développement de l’industrie, une nouvelle population laborieuse (majoritairement jeune) prend le chemin de la ville.

Zone d’habitat des « Grandes Rames » (Verviers-Quartiers est) : Photographie ville de Verviers.

Ce siècle voit ainsi la remise en question du communalisme urbain (excluant « l’étranger » s’installant intra muros) et la naissance de l’immeuble collectif découpé en appartements. De nouveaux types d’habitats apparaissent dans un paysage populaire dualisé : L’on retrouve le quartier ouvrier ou l’intérieur d’îlot avec ses courettes, venelles et corons dans lesquels survivent les nouveaux entrants de la ville tandis que de vastes immeubles (subdivisés socialement) sont bâtis adossés aux intérieurs d’îlots faisant front aux axes de pénétrations |2|. C’est à cette époque que se forge la relation : une famille=un logement (MARANDOLLA & LEFEBVRE, 2009). Le système urbain de la fin du XIXe pourrait se comparer à un écosystème en équilibre instable, au bord de la crise, contexte dès lors propice à des diagnostic empreints de jugements de valeurs... marqués par une focale urbaphobe :

— À la dégénérescence physique et morale supposée des individus dans la ville est opposée une volonté de favoriser la vie familiale au détriment de la rue et de la centralité.

— À la mise en abîme des liens sociaux sur fond de creusement des inégalités de conditions est opposé le rapprochement des catégories sociales au travers d’une formule d’habitat mono-familial standardisé.

— Aux risques d’émeutes de la classe ouvrière est opposée une différenciation fonctionnelle des espaces d’habitation et de production.

Illustration et Lithographie d’un projet de Phalanstère industriel dans les Ardennes (Charleville-Mézière), 1876 (Source : BNF).

Il est par ailleurs intéressant de constater la prégnance de cette pensée urbaphobe dans l’imaginaire de ceux en appelant à une cité idéale pansant les effets anomiques de l’industrialisation (Enclave industrieuse de Owen v/s cité ouvrières issues du paternalisme patronal) ou prenant le contre-pied radical du capitalisme honni (Phalanstère de Fourrier v/s habitat mutuelliste/communautarien). Les finalités poursuivies par ces initiatives bien que distinctes partagent des caractéristiques communes dans leurs rapports au sol à savoir : La haute densité du bâti, la mise au vert isolationniste, une unité communautaire encore largement assignée tournée vers l’outil industriel ou l’exploitation des ressources du sol.

Croquis fonctionnel de Cité-Jardin de R. Unwin (Source : PANERAI & Al., 2004).

Si la constitution de phalanstères reste globalement marginale à l’échelon européen et le développement de cités ouvrières d’initiative patronale reste pour le pays de Liège circonscrite à quelques rares expériences locales (telles « Les Grandes Rames » à Verviers). Les effets d’urbaphobie se retrouvent dans le développement progressif d’une réponse étatique au mal-logement du début de XXe Siècle et imprègne durablement le paysage architectural du parc locatif social sur l’agglomération Liégeoise. Le modèle de la cité-jardin reste majoritaire dans les politiques visant à contrebalancer les dérives d’un marché immobilier privatif marquant les classes populaires du sceau de la précarité. La cité-jardin d’avant guerre constituait bel et bien un HG pertinent au niveau de la qualité de vie (trame verte, urbanisme en chapelet). Avec la généralisation ultérieure de l’automobile, leurs espaces de socialités (la rue et le close) se sont vu progressivement phagocytés. Il reste que la réalisation de ces cités aux extrémités faubouriennes de la ville ont pu constituer une première phase de l’étalement urbain liégeois marquée par une première empreinte d’un « tissu intermédiaire » correspondant au chapelet de faubourgs secondaires historiquement structurés par la dispersion des sites miniers et sidérurgiques (VAN CRIEKINGEN, DECROLY & SLEGERS, 2007).

C’est d’avantage suite à la seconde guerre mondiale et dans le cadre de la reconstruction qu’apparaissent de façon radicale d’une part, la mise en avant d’un modèle familial restreint — celui de la famille nucléaire — en tant que norme sociale et, d’autre part la promotion d’un bâti uni-familial soumis aux lois de la concurrence sur le plan de l’installation géographique. Cette seconde vague de l’étalement urbain ne s’inscrit en effet pas dans les interstices encore relativement nombreux de la banlieue liégeoise (le « tissu intermédiaire ») mais dans une suburbanisation en nappes suivant le cours des axes de routiers présidant en conséquence à la formation d’une conurbation sous-régionale qui ne cesse de croître jusqu’à nos jours. Sur le plan économique, cette tendance lourdes de conséquences — en matière de prédation environnementale, fiscale et d’homogénéisation sociale des territoires |3| — a pu prospérer à la faveur notamment de la période de prospérité économique des Trente Glorieuses. Sur le plan culturel en revanche, il serait à notre sens une erreur d’envisager ce triomphe de l’habitat dégroupé comme résultant du seul mode de vie des fractions de classe aisée : À la faveur de la démocratisation scolaire et de l’amélioration des conditions de vie, ce sont principalement les classes moyennes et une portion des classes populaires en ascension sociale qui ont pu être les principaux moteurs de l’idéalisation de la maison individuelle en tant que « choix à crédit » devenu possible (MARRY, 2008).

Evolution de la population 1991-2000 (Source : INS)

La poursuite de cette fuite en avant dans un « mode d’habiter » fragmenté/dégroupé s’accompagnant d’un déclin de la banlieue faubourienne liégeoise ainsi que l’exode urbain constaté dans les quartiers centraux de notre ville (Cf tableau 1) dans les années 80 et 90 (marquées par la stagflation) nous incite à suivre les analyses sociologiques d’auteurs tels MARRY ou ACCARDO voyant dans la poursuite de modes de vie structurellement irrationnels (sur le plan du rapport à l’autre et à l’environnement) comme résultant d’une fabrique de l’opinion aux mains d’une classe moyenne demi-dominante dominée.

Cet aspect de l’imaginaire et des utopies liées à l’habitat est à notre sens d’autant plus fondamental à étudier que la récente promotion/expérimentation d’habitats non conventionnels à dimension éthique tel l’HG est principalement portées par des groupes issus des fractions de classes précitées. Toutefois, le coût de l’immobilier change, le recours à l’état ou à la famille ne va plus de soi et les modalités d’accès à l’emploi se précarisent... où dès lors placer exactement ce nouveau récit de production de l’espace proposé par l’HG ?

2. Les nouveaux enjeux d’inscription territoriale de la jeunesse, l’utopie à portée de main ?

Les modes de vie centrés autour de la petite propriété individuelle au sein d’un logement neuf répondant à un imaginaire de vie à la campagne est devenu aujourd’hui problématique pour les jeunes générations. Là où leurs aînés baby-boomers ont pu trouver les capitaux financiers y donnant accès, les nouvelle cohortes de baby-busters (TROTTIER, 2000) se heurtent à l’obstacle de la hausse des prix du foncier au sein des premières couronnes suburbaines sur-investies par les générations précédentes. Il en résulte la recherche de zones d’implantations plus éloignées par les jeunes candidats au rurbanisme, du moins pour les couches les plus favorisées d’entre-eux. Pour les autres, le fonds de récentes études statistiques nous pousse à envisager à une remise en question partielle des choix résidentiels sur le mode de la contrainte économique. Ainsi, dans les représentations de l’habitat désiré émerge une prise de conscience laborieuse des paradoxes induits par la rurbanisation.

Logement souhaité (Source:INSEE-TNS Sofres, 2007 in : Atlas transfrontalier franco-belge, 2008).

La part des habitants ruraux sous influence urbaine émettant le souhait d’un habitat lié à une proximité des commerces, loisirs ainsi qu’une meilleure accessibilité des TC est à ce titre interpellante car renvoyant à un tissu urbain dense pourvoyeur de services de proximité (écoles, commerces, médecins, garderies, etc.) et de mouvements (déserte et fréquence des TC) aux antipodes de l’environnement rurbanisé. Le rajeunissement de la ville centre observé à Liège depuis les deux dernières décades (où les 18-35 ans sont passés de 8% à 14% de la population) est un second éléments plaidant en faveur de mutations des représentations et des trajectoires résidentielles d’accès au logement autonome. Les nouveaux entrants urbains issus des espaces intermédiaires de la proche banlieue, de la seconde couronne rurbanisée ou des régions rurales des Provinces de Liège et de Luxembourg prendraient en effet d’avantage racine en Cité Ardente ce qui trancherait avec le rôle de « cité de transit » auparavant dominant. Ces tendances s’éclairent à la lumière d’une désynchronisation dans les stades d’accès à la vie adulte : désormais, quitter ses parents, poursuivre des études, entrer en emploi, former une union, concevoir un premier enfant pour in fine accéder à la propriété est une séquence aujourd’hui imprévisible (BAJOIT & FRANSSEN, 1995). Entre allongement des études, intermittences de l’emploi et en dépit de niveaux d’études plus élevés, le vécu d’une certaine précarité d’habitat au sein de la ville centre devient le dénominateur commun tant de la jeunesse populaire suburbaine que des enfants des classes moyennes issus des zones rurbaines (GUILLUY. 2009). Les jeunes « urbanisés » (dans le cadre de la migration estudiantine) tout comme les jeunes captifs des zones suburbaines et rurbaines s’inscriraient en en effet dans un « nouvel âge de la vie » (GALLAND, 2001, 2004) marqué par l’élargissement de périodes d’autonomie incomplètes.

Cette présence au sein de l’agglomération recèle néanmoins des disparités de taille entre les deux groupes mentionnés en termes d’installation au sein des quartiers centraux et constitue à notre sens le point nodal des enjeux attendant l’HG de demain.

— Les jeunes isolés centraux ou les enfants d’une démocratisation scolaire déçue. La prédominance de jeunes isolés et des couples sans enfants au sein de la ville-centre met en exergue la place privilégiée du milieu urbain dense dans la trajectoire des jeunes adultes issus des classes moyennes et aisées alors que se joue la poursuite des études supérieures tendant à s’entrecouper d’accès intermittents au jobisme précédent l’entrée sur le marché du travail et le développement de nouveaux rôles familiaux. Primo-arrivants de la ville-centre ceux-ci s’inscrivent très tôt dans un habitat de type groupal/communautaire « par défaut » (le kot) sur un marché du logement étudiant largement dominé par le privé. La banalisation de la colocation auprès des jeunes urbains centraux s’observe en outre dans la prolongation de formes de cohabitat au sortir des études, allant jusqu’à coïncider avec les début d’une vie professionnelle marquée par l’incertitude et la flexibilité. Disposant de possibilités de transferts intergénérationnels de capitaux amoindris tout en disposant de capitaux sociaux et culturels élevés (en phase avec leur capital scolaire), ceux-ci sont sans doute les mieux placés pour s’inscrire dans de « nouvelles formes d’habiter » au sein de la ville-centre.

Typologie de l’inscription territoriale de la jeunesse en zone urbaine liégeoise (Source : VAN CRIEKINGEN & Al., 2007).

— Les jeunes suburbains pauvres et Tanguys suburbains ou les nouveaux galériens de l’archipel. Les trajectoires d’accès au logement des jeunes urbain et suburbains (issus des quartiers ouvriers centraux ou des zones de banlieues suburbaines) sont marquées d’une précarité économique plus accentuée que celle vécue par les jeunes urbains urbains centraux. Le phénomène est bien connu comportant de multiples dimensions se renforçant mutuellement : faiblesse des salaires, absence de transferts intergénérationnels de capitaux, restriction des métiers accessibles, part du temps partiel subi renforcent le phénomène du mal-logement (LE MARCHAND, 2009). Le profil de ces jeunes urbains pauvres est en conséquence marqué par la figure du jeune sans emploi en hébergement prolongé sous le toit parental (famille hôtel) à envisager sur le modèle de la débrouille dans un contexte d’accès malaisé |4| au parc locatif social (parmi les moins développé d’Europe |5|). La catégorie des jeunes Tanguys suburbains dégagée par l’analyse de VAN CRIEKINGEN & al. se rapproche quant à elle de celle des jeunes suburbains pauvres et partant constitue le paradoxe des effets de l’archipel rurbanisé : De récentes études |6| sur les modes de vie au sein zones suburbaines lointaines des centre-ville laisse en effet apparaître un effet de captivité des jeunes générations au sein des archipels de l’habitat ségrégué en termes d’accessibilité TC |7| au noyau urbain dense pourvoyeur de services (offre éducative, participation culturelle, engagements civiques, etc.). En ce sens, ces jeunes semi-urbains paieraient le prix fort des choix résidentiels individualisés de leurs parents dont les conséquences favorisent ici aussi une résidence prolongée sous le toit parental. Jeunes paupérisés des quartiers suburbains délaissés et jeunes tanguys captifs répondraient ainsi à la figure du « galérien » autrefois mise en avant par DUBET (1987) dans son étude des « banlieues rouges » en déclin.

Typologie des trajectoires résidentielles de la jeunesse dans l’agglomération liégeoise :
VAN KRIEKINGEN & Al, 2007 (Source : Enquête socio-économique générale, 2001).

L’on assiste dès lors à un double mouvement dans les inscriptions territoriales des jeunes générations urbaines. D’un côté, un mouvement sociofuge d’une part des jeunes familles rurbaines possédant le capital financier permettant la reproduction des modes d’habitat dégroupés s’implantent sur des zones de plus en plus éloignées du noyau urbain.

De l’autre, des trajectoires sociopètes, de retour à la ville avec occupation des quartiers centraux en ce compris d’anciens quartiers ouvriers (la rive gauche, Outremeuse et les Guillemins correspondant à une nouvelle aire d’opportunités pour les jeunes urbains centraux issus des classes moyennes) tandis que l’ancien tissu intermédiaire faubourien et les zones suburbaines proches (en ce compris des franges excentrées de la ville telles le Longdoz, les Quartiers Nord et Bressoux-Droixhe) sont occupée par une jeunesse d’avantage marquée par le mal-logement.

Chez ce dernier groupe, ce n’est donc pas le développement de nouvelles formes de socialité familiale (« la famille de cœur », « le groupe choisi ») qui prédomine mais plutôt la réapparition d’anciennes formes de cohabitat (plusieurs générations de la famille proche vivant sous le même toit) : pour ceux-ci, aux obstacles institutionnels et financiers (Absence de patrimoine financier, méfiance des banques et organismes devant la nouveauté, carcan des catégories d’allocations sociales sanctionnant la cohabitation) s’ajoute l’inconnue des obstacles de socialité (vivre ensemble est un chemin exigeant) en regard des jeunes urbains centraux (bénéficiant de l’expérience du cohabitat estudiantin).

3. Vers une nouvelle citoyenneté urbaine

Au terme de cette réflexion sur les enjeux d’une nécessaire prise en considération de la mixité urbaine et de la prise en compte des territoires urbains délaissés nous constatons que le développement d’initiatives d’HG a toute sa place dans la transformation des territoires. Jusqu’ici, en effet, la transformation physique du territoire local l’emporte encore trop souvent sur des projets à dimension socio-environnementale, économique et institutionnelle comme l’illustrent de nombreux chantiers de notre ville. Les valeurs et le récit dont l’HG est le porteur arrivent comme une hirondelle dans le printemps en ce qu’en tant qu’acteur à part entière du mouvement social urbain il possède les possibilités de questionnement et de recensement des richesses que recèlent les territoires délaissés (nous pensons ici notamment au projet des Zurbains au sein du quartier trop souvent stigmatisé de Saint-Léonard). Ces valeurs mettent par ailleurs l’accent sur les individus et les groupes sociaux, leurs capacités à participer et être les moteurs de projets micro-locaux en tenant compte des éléments constitutifs de l’écosystème urbain.

La référence à une filiation de l’HG avec les formes de « cités idéales » du XIXe siècle (marquée par la prégnance de la dimension assignée et de l’institution totale) tout comme le terme “d’habitat communautaire” renvoyant aux expériences rurales des années 70 nous semble mal rendre compte des innovations récentes de l’HG ouvertes sur la ville, emprunte de mixité sociale et de participation démocratique créant des relations d’entraides réciprocitaires. L’on pense ici d’avantage à la rationalité coopérative de Kropotkine ou au communalisme d’autrefois, bref, à une démocratisation de l’économie à partir de l’engagement citoyen. Face aux défis de l’HG dans le cadre de cette participation égalitaire dans un contexte de recomposition des stratifications sociales du territoire il est toutefois possible de balancer entre deux lectures. Une première option pessimiste s’inquiéterait des risques d’instrumentalisation par les équipements du pouvoir privatisant une part de ses engagements traditionnels — et insuffisants en matière de politique sociale du logement — (sur le plan de l’inscription territoriale) ou encore, des risques de dérives vers des quartiers fermés (voisinage choisi, moyennisation) faussement présentés comme conviviaux par un secteur immobilier privé en quête de greenwashing (sur le plan du travail sur les représentations). En vis-à-vis, c’est in fine la lecture optimiste de la naissance d’une approche globale passant du « génie civil » (négociations architecte-cohabitants) à une citoyenneté urbaine prenant en compte le quartier et la ville et interpellant par là les pouvoirs publics de l’agglomération qui recueille d’avantage nos suffrages.

Un habitat groupé vecteur d’intégration, de cohésion sociale et environnementale, culturelle et politique sur un territoire urbain où se dessinent les profondes fractures actuelles et à venir de nos sociétés appelle donc plus que jamais le développement d’une nouvelle citoyenneté urbaine réintroduisant la Question Sociale au coeur de son projet.

Trois pistes d’idées connotées

Projet d’éco-quartier d’habitat groupé de la « cartoucherie » de Toulouse (prédominance de la commande publique) : Lignes de forces et de faiblesses,

Projet de lotissements groupés en « poches pédestres denses » selon le modèle de Calthrope aux USA -Californie (prédominance de l’initiative privée) : Lignes de forces et de faiblesses,

Quartier d’habitat groupé de Londerzeel (maintien d’une tradition d’initiative associative coordinatrice en lien avec les habitants et les autorités : Plate-forme VLABO).

Bibliographie

ACCARDO, A., 2009, Le petit bourgeois gentilhomme : Sur les prétentions hégémoniques des classes moyennes, Agone, Marseille, pp. 91-116.

BAJOIT, G., FRANSSEN, A., 1995, Les jeunes dans la compétition culturelle, PUF, Paris, pp. 199-267.

CAILLY, L., “Existe-t-il un mode d’habiter spécifiquement périurbain ?”, in : Espace Temps, Textuel, Mai 2008, consultable en ligne : http://espacestemps.net/document5093.html

DELALEEUWE, N., “L’habitat collectif : une réponse à la solitude et à la précarité ?”, in : Article 23, RBDH-BBrOW, Bruxelles, Octobre-Décembre 2007, pp. 42-44.

D’ERM, P., 2009, Ecovillages, habitat groupé, écoquartiers : Vivre ensemble autrement, Ulmer, Paris, 143p.

DILAS-ROCHERIEUX, 2000, L’utopie ou la mémoire du futur, Laffont, Paris, pp. 136-184.

DUBET, F., 1987, La galère : Jeunes en survie, Fayard, Paris, pp. 223-302.

GALLAND, O., 2001, Sociologie de la jeunesse, Armand Colin, Paris, 140-176.

GUILLUY, C., “La France pavillonnaire”, In : Le Mook, Editions Autrement, Septembre-Octobre 2009, pp. 52-55

KROPOTKINE, P., 2009 (Rééd 1902), L’entraide, un facteur de l’évolution, Aden, Bruxelles, pp. 227-321.

LE MARCHAND, A., 2009, “Habitat non-ordinaire et ville post-fordiste”, in : Multitudes 37/38, Editions Amsterdam, Paris, pp. 229-236.

MARANDOLA, M., LEFEBVRE, G., 2009, Cohabiter pour vivre mieux, Editions Lattès, Paris, pp. 9-28, 97-128, 191-197.

PANERAI, P., CASTEX, J., DEPAULE, J-C., 2004, Formes urbaines de l’îlot à la barre, Parenthèses, Marseille, pp. 30-71.

ROUGE, L., “Inégale mobilité et urbanité par défaut des périurbains modestes Toulousains”, Espaces Temps, Textuel, 25.04.07 http://espacestemps.net/document2237.html

SOULIER, H., “La friche ou la vertu des manques urbains” in : BOISSONADE, J., 2008, Ville visible, ville invisible : La jeune recherche urbaine en Europe, L’Harmattan, Paris, pp. 53-68.

TROTTIER, C., 2000, “Questionnement sur l’insertion professionnelle des jeunes”, in : RIAC-Lien Social et Politiques n°43, Montréal, pp. 93-101.

VAN CRIEKINGEN, M., GUISSET, C., DECROLY, J-P., SLEGERS., K, 2007, Une géographie de l’entrée dans la vie adulte : Trajectoires résidentielles des jeunes adultes et mutations des territoires dans les villes belges, Working paper : 3èmes Rencontres Jeunes et sociétés en Europe et autour de la Méditerranée, Marseille, 25p.

|1| L’on retrouve la forme pré-démocratique du « communalisme » dans le cadre de l’essors des villes affranchies ou conjurées du MA, Liège est à ce titre une illustration particulièrement parlante de l’auto-juridiction signifiant auto-législation et auto-administration sur base du territoire local.

|2| À l’ancien espace communalisé se substitue progressivement un espace fonctionnalisé : Ce nouvel urbanisme soutenu par une certaine vision d’hygiénisme dont on peut retrouver la trace au sein de certains quartiers comme Outremeuse était sous-tendu par un principe d’exclusion de l’histoire, des contenus sociaux et de ses traces par la confiscation d’un certains nombre de lieux dans la ville au bénéfice des flux de la rue (au besoin en recourant à la percée/démolition) et dès lors, au détriment des anciens liens d’entraide et de voisinage. Voir à ce propos : PANERAI, P., CASTEX, J., 2004, Formes urbaines de l’îlot à la barre, Editions Parenthèses, Marseille, pp. 36-42.

|3| La dispersion de l’habitat en archipels d’habitats ségrégués n’a pas encore apporté le poids de tous ses méfaits : Songeons aux impacts futurs des frais d’entretien et de renouvellement des voiries, de l’égouttage, à charge de la collectivité en sus d’un gaspillage énergétique dû à l’acheminement de son approvisionnement.

|4| Les catégories de « famille avec enfant » et « ménage monoparental » priorisées dans les procédures d’introduction de demande auprès des sociétés de logements sociaux qu’il n’est pas question de remettre en question dans ces lignes placent les jeunes isolés et couples sans enfants en seconde ligne nécessitant dès lors des temps d’attentes allongés.

|5| Classement des pays selon l’importance décroissante du parc locatif public en 2006 : 36% aux Pays-Bas, 23% en Autriche, 22% en Suède, 18% au Danemark et en Allemagne, 17% en France, 14% en Finlande, 11% en Irlande, 8% en Italie et au Portugal, 7% en Belgique, 2% au Luxembourg, 2% en Espagne, 0% en Grèce.

|6| Au delà des études de VAN KRIEKINGEN & Al. (2007) nous nous référons notamment à : GUILLUY, C., 2009, “La France pavillonnaire”, Le Mook, Editions Autrement, Septembre-Octobre 2009, pp. 52-55 ainsi qu’à : CAILLY, L., “Existe-t-il un mode d’habiter spécifiquement périurbain ?”, Espace Temps, Textuel, 13.05.08 consultable en ligne : http://espacestemps.net/document5093.html

|7| Voir à ce propos : Lionel ROUGE, “Inégale mobilité et urbanité par défaut des périurbains modestes Toulousains”, Espaces Temps, Textuel, 25.04.07 http://espacestemps.net/document2237.html

 

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