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Une « porte Nord » en mal de définition

vendredi 14 avril 2017, par François Schreuer

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L’archipel de projets « porte Nord » augure d’un nouveau cycle de transformation du tissu urbain liégeois. Mais malgré des budgets conséquents le triptyque Coronmeuse-Bavière-Bressoux est grevé, comme les séquences précédentes, par un manque de cohérence et de planification.

Cet article est paru dans le numéro 265 de la revue A+, daté d’avril/mai 2017.

On peut lire l’histoire de l’urbanisme liégeois comme la succession de grandes séquences d’une vingtaine d’années, au cours desquelles un projet monopolise l’attention et les moyens disponibles, devient l’épicentre des tensions politiques locales et l’emblème de son époque.

Le cœur des « Trente glorieuses » fut consacré aux rives et à la hauteur : de Droixhe au Val Benoit, les quais de Meuse et de Dérivation ont vu leurs maisons de maîtres remplacées par des immeubles en rez+10 et au-delà, et les drèves des quais ont cédé la place au bitume et à la vitesse.

Les deux décennies suivant le choc pétrolier furent pour leur part consacrées à la saga de la place Saint-Lambert. C’est en 1974 que la célèbre maison du peuple, la Populaire, est démolie. Il faudra attendre la fin des années ’90 pour voir l’achèvement de la place, après les démolitions compulsives, la contemplation sidérée du « trou », puis la reconstruction, vaille que vaille.

C’est le quartier des Guillemins qui alors prend le relai. Là encore, une vingtaine d’années s’écoulent entre le lancement des travaux de la gare, fin des années ’90 et l’achèvement des espaces publics dans le quartier, actuellement en cours.

Si l’on file le raisonnement un peu plus loin, on peut noter que ces moments de transformation de la ville ont des points communs, à commencer par une planification presque évanescente couplée à un niveau d’ambition très élevé ; le tout sous une influence forte du secteur privé. S’ils se soldent par des ardoises fabuleuses pour les pouvoirs publics, ces chantiers et leurs à-côtés représentent aussi de très juteuses opérations pour le BTP et pour différents promoteurs : contrairement à l’image qu’elle aime cultiver d’elle-même, Liège est une ville dont la grande bourgeoisie est puissante.

Mais qu’en est-il aujourd’hui, alors que le cycle des Guillemins est en train de se refermer ? Il semble qu’une nouvelle séquence a débuté, sous la forme d’un archipel de projets tous situés dans un périmètre restreint en entrée de la ville, en bord de Meuse. Nous la nommons « porte Nord ».

Une fois encore, le niveau d’ambition est élevé — un budget cumulé de l’ordre du milliard d’euros. Une fois encore, malheureusement, la planification est déficiente, plus que jamais, sans doute. Et une fois encore, les coûts s’annoncent conséquents pour le secteur public tandis que la promotion immobilière s’apprête à réaliser d’importants profits. Cette « porte Nord » est principalement constituée d’un triptyque : Coronmeuse, Bavière et Bressoux.

Bavière

Bavière — 4 ha dans le quartier d’Outremeuse — est la dernière grande friche urbaine du cœur de Liège, en souffrance depuis trente ans, et, à ce titre, un gros point noir dans le bilan urbanistique de la majorité communale PS-CDH (en place depuis trente ans également),.... autant que la plus belle et la dernière grande opportunité foncière dans le centre. Les essais et les erreurs se sont succédés sur cet espace qui fut celui de l’hôpital du CPAS ; les coups de malchance aussi. Face à l’adversité, le niveau d’exigences a baissé.

Après l’échec d’un projet remarqué de 600 logements porté par le promoteur anversois Himmos (arch. Anorak), le terrain a été acquis par le promoteur ardennais Thomas & Piron. Celui-ci a rapidement reçu un soutien important des pouvoirs publics, puisqu’une demi-douzaine d’opérations publiques (nouvelle bibliothèque |1|, extension d’une école supérieure, polyclinique, hall omnisports, commissariat et crèche) constituent une grande partie de la programmation envisagée.

Las, plutôt que de prendre le temps de spatialiser avec tact ce programme riche et diversifié, le terrain a tout simplement été loti. La revente des lots s’accompagne d’une plus-value qui atteindrait 300 EUR/m2 dans certains cas, au bénéfice du promoteur. Quant à la planification d’ensemble, elle est minimale et vient sanctionner la médiocrité du processus initial. Les espaces publics, résiduels, sont limités à de simples circulations entre blocs |2|, à l’exception d’une grande place publique réalisée... en bordure du site, sur un terrain n’appartenant pas (plus) au promoteur. Le parc public, qui figurait dans presque tous les projets présentés ces dernières années, a tout simplement disparu — les seuls (et rares) espaces verts restant étant privatisés. L’exceptionnelle « dentisterie », emblème du modernisme liégeois, semble vouée à la destruction, sans états d’âmes. Et jusqu’à présent, les échevins compétents ont été de facto tenus à l’écart du dossier, où l’influence dominante était celle de M. Stéphane Moreau, représentant du fond de pension OGEO Fund, l’un des financiers du projet. L’actualité récente pourrait cependant rebattre les cartes sur ce dernier point...

Coronmeuse

À Coronmeuse, c’est la candidature de Liège à l’exposition internationale 2017 qui a déterminé le devenir du site. L’Expo prévoyait la construction de plusieurs dizaines de pavillons (arch. VenhoevenCS) sur ce site d’une vingtaine d’hectares, superbement situé en bord de Meuse. Leur coût devait être entièrement assumé par le budget de l’Expo, au terme de laquelle il était prévu de les reconvertir en « écoquartier », option naturellement préférable à leur démolition. La candidature a échoué, en 2012, après deux ans de promotion intense sur tous les continents, mais le projet de bâtir plus de 200.000 m2 est resté, de même que la forme du marché public — le dialogue compétitif, la plus opaque d’entre toutes. Ce marché, qui doit départager deux consortiums réunis, respectivement, autour des sociétés Franki et Blaton (arch. Foster + Partners) et Moury (arch. Portzamparc), serait en passe d’aboutir en ce début d’année 2017. La réalisation du projet suppose la démolition des actuelles halles des foires (non sans l’accord de son président,... M. Moreau) et la privatisation d’importants espaces publics (le festival Les Ardentes, notamment, devra déménager).

L’Expo ne pouvant prendre en charge ces coûts, le projet repose désormais sur un investissement public de l’ordre de 30 millions d’euros, dont 25 issus du FEDER |3|. Ces montants sont dévolus aux frais d’études et à l’aménagement du site, notamment à la remise en état de la « darse », plus exactement du début de l’ancien canal de Maastricht, où les entreprises de pondéreux et d’entretien de bateau cèderont la place à une « marina ». Egalement situé sur le site, le Palais des Fêtes (alias la vieille patinoire), emblématique témoignage de l’exposition internationale de l’eau en 1939, dû aux frères Moutschen |4|, est extrêmement menacé : laissé à l’abandon, avec une toiture percée, par les autorités communales qui en sont propriétaires, sa démolition sera prochainement présentée comme regrettablement inéluctable. Au mieux, nous revient-il, on pourrait espérer la conservation des murs du bâtiment pour servir de paravent à un parking en silo qui serait construit à l’intérieur. Sic transit...

Comme à peu près tout de ce projet, on ignore à ce jour la nature et le montant des compensations que le consortium privé qui emportera le marché versera aux pouvoirs publics pour l’acquisition de ces terrains (très bien) équipés. L’on sait par contre qu’en privatisant ce site, la Ville perd son « parc de la Villette », lieu polyvalent et accessible permettant d’accueillir d’importantes manifestations publiques — une fonction qu’il aurait pourtant été intéressant de préserver et de développer.

Bressoux

La plaine de Bressoux, c’est un carré de plus de 30 ha, en friche, somptueusement situé, entre la gare de Bressoux |5| et le fleuve, là où son cours belge est le plus large, juste en face de Coronmeuse |6|. Le site bénéficie d’une visibilité exceptionnelle, d’une connexion à l’autoroute, de la proximité immédiate de la ville dense et doit accueillir le tramway. C’est le lieu d’un pas en avant possible, indispensable, de l’urbanité, c’est le lieu de l’inclusion de Droixhe — enfin — dans le tissu urbain. De surcroît, l’autoroute, qui longe jusqu’à présent le fleuve, sera prochainement transformée en « boulevard urbain » entre le pont-barrage de l’Île Monsin et Droixhe.

Il s’agit peut-être du site, pour la décennie à venir, le plus stratégique de l’agglomération. On y attendrait un quartier dense, mixte, multifonctionnel, associant du logement et de l’activité aux fonctions métropolitaines. Pourtant, là encore, l’improvisation est de mise : il est prévu d’y implanter les nouvelles halles des foires (sous la houlette de l’inévitable M. Moreau), un grand parking-relais, le dépôt et le centre de maintenance du tram ainsi que, depuis peu, une salle de « guindaille » pour les étudiants.

Tout cela s’agglomère au petit bonheur, sans le moindre plan d’ensemble, sans une mission d’urbanisme, alors que la Ville dispose pourtant d’une maîtrise foncière totale (conséquence, là encore, de l’Expo 2017). Le résultat est prévisible : le dépôt de tram a été disposé de manière à former une immense barrière physique entre le site et la gare — on aurait attendu de cette dernière qu’elle polarise le projet. La connexion entre l’arrêt de tram et la gare imposera à ses usagers un parcours malcommode de plusieurs centaines de mètres. Les halles des foires ressembleront très vraisemblablement à des boîtes à chaussures. La salle étudiante sera posée au milieu du champ de tir comme un cheveu dans la soupe. Quant à la passerelle un temps envisagée vers Coronmeuse, elle n’aura plus guère de raison d’être dans tout ce fatras.

Un indispensable Master plan

En dépit des errements observés, en dépit de l’éparpillement des intentions, c’est bien à une opération de première ampleur que l’on assiste. Elle est déterminante pour l’avenir de la ville, va dessiner son entrée Nord, amener à la création de centaines de milliers de mètres carrés bâtis, créer des infrastructures — culturelles, de santé, sportives, de transport,... — qui seront utilisées au quotidien par des milliers de personnes.

Et malgré les délais inhérents aux financements européens (et du chantage qu’ils permettent), il n’est pas trop tard pour réaliser un Master plan « Porte Nord ». C’est la seule manière de mieux articuler les projets, entre eux mais aussi avec leur environnement urbain immédiat, notamment en amendant légèrement le tracé du futur tram pour en faire une colonne vertébrale au service du projet — il est moins une ! — ou en créant de nouvelles aménités au service des quartiers alentours.

Le potentiel est immense, la programmation est globalement pertinente. Mais il est permis de penser que tout cela manque cruellement d’intelligence spatiale.

François Schreuer

|1| Conçue en interne par la Province, sans aucune compétition d’architecture. Cf. « Bavière black out » in urbagora.be, juin 2015 : http://urbagora.be/baviere_black_out

|2| Il apparaît de surcroît que ces espaces pourraient être fermés par des grilles sur tout le pourtour du site.

|3| Montant qui n’intègre pas le déplacement des halles des foires, lequel fait l’objet d’une fiche FEDER distincte de 35 millions d’euros.

|4| Et dont une photographie avait été choisie en 2014, malgré le mauvais état du bâtiment, pour la couverture du récente guide d’architecture moderne et contemporaine de Liège (éd. Mardaga), témoignant de l’importance symbolique de ce bâtiment.

|5| Une gare où s’arrêtent toujours des trains IC directs vers Bruxelles, même s’il n’y a plus qu’un quai battu par les vents.

|6| Une passerelle était d’ailleurs prévue pour relier les deux rives dans le projet de l’Expo 2017. L’ensemble est par ailleurs le dernier lieu possible pour créer une boucle ferroviaire autour de Liège, comme cela a été identifié en 2011 dans l’étude du bureau Tritel sur les enjeux stratégiques pour le rail wallon.

Cette publication est éditée grâce au soutien du ministère de la culture, secteur de l'Education permanente

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