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Liège et sa gare, Liège et ses gares

vendredi 30 mars 2012, par François Schreuer

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Intervention de François Schreuer dans le cadre de la 42e école urbaine de l’ARAU (30 mars 2012).

Le point de vue qui est le mien, depuis lequel je m’exprimerai ce soir est celui d’un militant urbain liégeois, membre de l’asbl urbAgora. Cette association existe depuis 2008 et s’est constituée autour de la revendication du retour du tram à Liège. Elle est devenue depuis lors une association relativement généraliste sur les questions d’urbanisme en région liégeoise, avec notamment une perspective de défense des urbains face à la logique de périurbanisation, et une préoccupation assez large sur les questions d’architecture, de patrimoine et de mobilité, entre autres. L’association compte aujourd’hui environ 200 membres. Nous sommes à ce jour une association totalement bénévole mais nous espérons être prochainement reconnus dans le cadre de l’éducation permanente.

Nous avons participé, peu de temps après la naissance de l’association, à la création d’une plateforme associative, « Guillemins.be », qui réunit 6 associations concernées par le quartier des Guillemins. Cette plate-forme a joué depuis 4 ans maintenant un rôle de vigilance citoyenne dans le débat liégeois, dans un contexte où, jusqu’alors, l’arrivée de la nouvelle gare des Guillemins gare s’était accompagnée d’un raz-de-marée, dans les discours et dans la politique d’urbanisme, que les acteurs associatifs n’avaient pas été en mesure d’affronter.

Je souhaite encore signaler, avant d’en venir au sujet de ce soir, que notre association a des intérêts relativement larges sur les questions ferroviaires. Nous avons notamment eu l’occasion de promouvoir l’idée d’une ligne transbrabançonne qui vous intéressera peut-être dans le débat bruxellois car il s’agit d’une proposition de dorsale wallonne bis à travers le réseau wallon, qui permettrait d’éviter un certain nombre de transits à Bruxelles et donc de soulager le réseau bruxellois.

Nous sommes également très concernés par la possibilité de mettre en place un « Réseau Express Liégeois » ou REL, à l’échelle de la grande agglomération.

Contexte

Commençons par situer Liège et la gare des Guillemins, au croisement de deux principaux axes. Le premier relie Bruxelles et l’Allemagne ; il représente environ 50% du trafic ferroviaire. Le second est la dorsale wallonne, à quoi on peut ajouter une ligne allant vers le Luxembourg, une vers Marche, une vers Visé et Maastricht et enfin une vers le Limbourg.

Ce croisement de deux axes forts sera assez déterminant, en termes techniques, dans le processus de construction de la nouvelle gare de Liège Guillemins. L’on sait que les exploitants ferroviaires n’aiment pas les cisaillements et sont prêts à beaucoup de choses pour les éviter. C’est l’une des raisons qui explique le bouleversement que la gare a amené dans le tissu urbain liégeois.

Si je zoome un peu voici le réseau liégeois tel qu’il se présente, presque, aujourd’hui. En pointillé, ce sont deux lignes en débat. Le centre-ville se trouve à 2-3 km au nord de la gare de Guillemins.

L’agglomération liégeoise se caractérise par une sous-utilisation de son réseau ferroviaire. En termes de comptage (datant de 2009), la gare des Guillemins n’est que la 3e gare wallonne derrière Ottignies et Namur alors qu’elle est la gare principale de la première agglomération de la région. Il y a seulement 15 000 voyageurs par jour. On espère que ces chiffres augmenteront un peu. Liège-Palais qui est la gare de l’hyper-centre, n’a que 3 500 usagers par jour. Et il y a 21 000 usagers quotidiens sur Liège-ville contre 29 000 sur Leuven qui est pourtant deux fois plus petite. Cela montre le retard que Liège connaît en matière ferroviaire.

On peut aussi souligner que le débat sur le transport en commun est une arlésienne à Liège qui n’a jusqu’à présent pas débouché sur des résultats concrets. Depuis 30 ou 40 ans, on a parlé d’un réseau de type RER, de la possibilité d’un métro, de transports automatisés dans les années 1980, et puis du tram qui est d’actualité.

Un point qui mérite d’être souligné est l’état de délabrement des gares liégeoises. À côté de la gare des Guillemins qui est aujourd’hui un bijou resplendissant, on a des gares dans un état tout à fait déplorable comme celle de Bressoux, qui connaissait pourtant un trafic relativement important il y a encore 10 ou 15 ans. La gare du Palais est dans un état affligeant et sa rénovation est reportée d’années en années depuis au moins 10 ans. On a affaire à un état de délabrement des stations du réseau, en général, qui est assez préoccupant.

Le choix du tracé du TGV par Liège

Venons-en au TGV, qui a été le prétexte, ou l’occasion, de la construction de cette nouvelle gare des Guillemins. En commençant par rappeler qu’il n’était pas évident que le TGV s’arrête à Liège et rentre dans la ville.

Des trois tracés envisagés fin des années 1980 pour la ligne à grande vitesse destinée à relier Bruxelles à l’Allemagne, un seul passait par Liège. Une mobilisation importante a permis d’obtenir le passage du TGV à Liège. C’était considéré comme un impératif absolu pour le développement de la ville dans le contexte particulier des années 1980 qui, il faut le rappeler, était quasi celui d’une faillite de la Ville de Liège. Le mythe français du TGV a donc été particulièrement bien reçu à Liège et la grande vitesse est toujours perçue aujourd’hui comme un des principaux atouts de la ville qui tente de mettre en place un difficile « redéploiement ». Le secteur de la logistique — qui inclut le TGV avec le projet « Euro-Carex » — est d’ailleurs devenu, notamment au travers de diverses politiques régionales, le fer de lance de ce « redéploiement », même si l’on peut discuter la pertinence de cette option… Bref : en 1993 la décision est prise et est favorable à Liège : on y construira donc une gare TGV à Liège. La société « Euro-Liège TGV » est créée, devenue depuis lors Eurogare.

Un concours d’architecture a été organisé dont les résultats ont été publiés en 1997. Le public a pu découvrir cet objet plastique remarquable et désormais bien connu de l’architecte Santiago Calatrava. C’était la première fois à Liège qu’on recourrait à un « starchitecte ».

La gare elle-même, sa construction, est une prouesse technique assez remarquable à bien des égards. C’est du moins le récit qui sera construit autour d’elle. Elle devient un objet symbolique fort, un objet apprécié et connu par les Liégeois qui en tirent une fierté probablement indéniable aujourd’hui.

À titre personnel je suis également séduit par la réinterprétation contemporaine de la figure de la gare-verrière, avec l’image de la vieille verrière du XIXe siècle qui retrouve une certaine actualité. Malheureusement les choses ne sont pas totalement roses et on se rend compte notamment que le cahier des charges a été mal rédigé et que cela implique pas mal de défauts pour cette gare.

Les lacunes de la gare

Le premier défaut est que, bien qu’elle ait l’air immense, elle est plus petite que la précédente. Sa capacité ferroviaire est moindre, à tel point que la possibilité de réaliser et mettre en œuvre un Réseau Express Régional est compromise à cause de la réduction du nombre de quais. Elle ne peut accueillir que des lignes traversantes et non terminus, ce qui représente une contrainte non négligeable. En termes d’inter-modalité des transports urbains, le cahier des charges ne comportait quasiment rien ! De sorte qu’aujourd’hui, on est face à un aménagement urbanistique complètement improvisé, où les abris de bus vont venir s’installer le long d’un axe de circulation. La qualité du passage du transport urbain au transport ferroviaire n’a pas du tout fait l’objet d’un travail architectural ni urbanistique dans la conception même de la gare. Ne parlons pas des bus interurbains ou de quoi que ce soit d’autre…

Ce qui est également frappant, c’est qu’on a apparemment pris une décision ferme sur la réalisation d’un tram à liège : vous remarquerez que cette place qui est aujourd’hui en cours de travaux, ne comporte rien permettant d’accueillir un tram. La place que l’on construit aujourd’hui devra être rouverte et modifiée dans les 5-6 ans pour pouvoir installer le tramway. Cependant on peut signaler, qu’à la différence des transports urbains, il y a un parking de 800 places qui est branché directement sur l’autoroute à l’arrière. La gare témoigne donc d’une vision des transports des années 1990, de manière générale, et qui est aujourd’hui vraiment dépassée. Cette vision se caractérise par l’idée que le transport ferroviaire était destiné à décroître, à aller de plus en plus vers de longues distances et à être complémentaires plus avec la voiture qu’avec avec les transports urbains. Cette vision est totalement dépassée aujourd’hui mais l’entièreté du cahier des charges, réalisé dans les années 1990, témoigne de cette idée que les transports en commun étaient destinés à décroître et que l’avenir ferroviaire était dans la très longue distance.

C’est plus anecdotique mais aujourd’hui se pose un débat sur la question des trains qui vont vers Londres puisque la Deutsche-Bahn envisage de construire une ligne entre Francfort et Londres, qui passerait par Liège (et peut-être demain entre Berlin et Londres). La gare n’a pas du tout était prévue pour accueillir des arrêts des trains devant emprunter le tunnel sous la Manche…

Les usagers ont souligné quant à eux l’absence de bancs sur les quais, l’absence d’une salle d’attente chauffée. Le porte-parole de la SNCB holding, qui est compétente pour les grandes gares, nous a expliqués qu’il n’était pas nécessaire ni d’avoir des bancs ni d’avoir une salle d’attente puisque la SNCB misait sur la ponctualité des trains.

Le primat de l’objet plastique s’est manifesté au détriment du rôle fonctionnel de la gare. Tant du côté de la SNCB holding que de l’architecte des prises de positions du type : « les bancs ne vont pas avec l’œuvre architecturale », voire, « on ne peut quand même pas faire passer des bus devant la gare, ça gâcherait la vue sur la gare ». Ce sont des paroles qui ont été dites telles quelles.

On ne peut pas faire l’impasse sur le budget consacré à cette gare : 450 millions d’euros au total (refonte complète du grill ferroviaire comprise). Cela reste néanmoins énorme, surtout lorsqu’on observe l’état général du réseau ferroviaire.

L’enjeu urbanistique : qu’est-ce que la gare a produit sur son environnement ?
Je vous expliquais plus tôt l’enjeu du cisaillement, il y a aussi la question de la « rectilignité » des quais. L’ancienne gare avait des quais en courbes, ce qui posait des problèmes de sécurité car les chefs de train n’étaient pas en mesure de voir le train dans toute sa longueur. Pour ces raisons et d’autres, il a été décidé de déplacer la gare qui se trouvait auparavant dans l’axe de la rue des Guillemins. La gare a été déplacée de 150 mètres vers l’est, face à quartier de petites maisons dont le tissu urbain était assez serré. Cela a entrainé une profonde modification de l’urbanisme du quartier. On a beaucoup reproché à la Ville de Liège de ne pas avoir anticipé les conséquences qu’aurait ce déplacement de la gare, qui bouleverse en effet aujourd’hui complètement le quartier et même plus. C’est en partie un mauvais procès dans la mesure où la Ville de Liège a dès 1995 lancé l’élaboration d’un schéma directeur. En 1999 il y a eu une étude de faisabilité pour la réalisation d’une place assez modeste, triangulaire, face à la gare conçue par Claude Strebelle qui parlait de la gare comme une cathédrale : il ne fallait donc sûrement pas dégager le bâti mais bien l’inclure pour ménager des vues partielles sur elle. Tout ce travail a été balayé par les visions grandioses de la SNCB sur l’avenir du quartier puisqu’en 2002 Euro-Liège-TGV a envoyé une carte de vœux à tout ce que Liège comptait en personnalité avec l’image ci-contre qui représente la vision d’un quartier complètement remodelé avec l’idée que la ville doit s’adapter à sa gare. La SNCB a donné à Liège une gare grandiose, il est temps que Liège se mette à niveau.

Ce projet impliquait 500 expropriations supplémentaires, en plus des centaines qui avaient déjà été réalisées. Dans une première vue il s’agissait d’un canal qui reliait la Meuse à la gare avec des vaporettos qui circuleraient dessus… ! Mais on s’est rendu compte qu’il y avait 7 mètres de dénivelé entre le niveau de la Meuse et celui du parvis de la gare. Le projet a donc été remodelé avec des successions de plans d’eau entourés par ces grandes 2 barres d’immeubles en rez+7 ou rez+8 qui formaient un évasement devant la gare et faisaient échos à sa forme, l’idée étant qu’en sortant de la gare, 360° autour de soi,on avait du Calatrava. C’était très clairement dit. Curieusement, ce projet a suscité beaucoup de soutiens et de l’enthousiasme.

On a eu affaire pendant 7 ans, entre 2002 et 2009, à une guerre de tranchées entre d’une part les porteurs de ce projet à la SNCB, soutenu par une série de responsables politiques liégeois, et d’autre part la Ville de Liège qui essayait d’avoir un peu de rationalité financière dans l’approche du projet. Car il faut pouvoir financer 500 expropriations ! Mais aussi à cause de préoccupations urbanistique, de qualité de vie, de présence des habitants. Il y a eu une conférence de presse en 2006, quelques mois avant les élections communales (alors même qu’un projet était en cours de réalisations sur les instances du Conseil communal…) à laquelle ont assisté Messieurs Reynders et Marcourt, qui essayaient de peser dans le choix à quelques mois des communales en promouvant la vision du projet de Calatrava. Face à cette vision il y a le projet dit « Dethier », réalisé par un consortium de bureaux d’études sur les instances de la Ville de Liège qui conçoit le projet ci-dessous avec quelques variantes, projet que nous avons soutenu car il respectait la présence des habitants dans le quartier et était tourné vers eux, là où la vision de la SNCB était orientée vers une logique immobilière.

C’est un projet qui comblait également un manque d’espaces verts. Et ce projet restait de façon générale à l’échelle du quartier, il suturait le quartier qui avait déjà été fort abîmé et il recréait des circulations transversales entre les deux parties.

Dans le cadre de ce débat nous avons assisté à des expropriations illégales réalisées par la SNCB qui a entre autres exproprié une rue entière, la rue Bovy, avec comme motif d’intérêt public les « nécessité du chantier » alors que les bâtiments expropriés ont été démolis après l’inauguration de la gare ! Une autre partie des immeubles qui devait être expropriée est restée en place grâce à la plateforme Guillemins.be et une conférence de presse, assistées d’un avocat…

Les projets en cours actuellement dans le quartier

  • un projet de passerelle qui relierait la rue des Guillemins au parc de la Bovery ;
  • un projet polémique d’une tour des finances par le bureau Jaspers-Eyers qui fait l’objet d’une contestation à laquelle nous nous associons ;
  • le débat du tramway et de son tracé : c’est vraisemblablement le tracé 5a qui va être retenu.

Conclusion

L’arrivée de la gare aura sans doute été une bonne chose à certains égards, le principal étant que les trains s‘arrêtent à Liège et pas dans une lointaine banlieue : c’est un point qu’il ne faut pas minimiser. Néanmoins la façon dont cette gare a été réalisée constitue un petit désastre. Le quartier est aujourd’hui dévasté et une grande incertitude demeure sur la manière dont il va évoluer. Une partie des projets annoncées n’ont pour le moment pas le moindre financement. Ce qui est encore plus regrettable, c’est de constater que les leçons n’ont pas été tirées de l’expérience liégeoise car la SNCB s’apprête à refaire exactement la même chose à Mons : projet du même architecte avec une approche du même type et le saccage — parfaitement injustifié — de la gare de Panis, en vue de construire, là aussi, un objet plastique représentant l’esprit supposé du temps.

De manière générale, la SNCB reste enfermée dans une logique de gares sanctuaires. Cela répond à un désir de politiques locaux mais cela répond surtout à l’absence, pour ce qui concerne la Wallonie, d’une stratégie ferroviaire régionale. On a l’impression qu’aujourd’hui la Région wallonne n’est pas en mesure d’identifier les réelles priorités qui pourraient lui permettre de développer son réseau ferroviaire dont elle a pourtant cruellement besoin.

Certes, certains éléments positifs sont intervenus dernièrement : réalisation de l’étude Tritel commandée par le Ministre de la mobilité M. Henry. Néanmoins cette étude Tritel, qui a le mérite de défricher le terrain, n’est guère utilisée par le pouvoir politique, notamment dans le cadre de la négociation du prochain plan d’investissement du groupe SNCB. Cette étude constitue un — trop — vaste catalogue de réalisations possibles pour un budget actuellement hors de portée. Nous n’avons donc pas l’impression qu’une vision se dégage quant aux priorités qu’il convient de mettre en avant. À cet égard, la persistance de la Région wallonne à vouloir réaliser la gare de Gosselies pour un budget qui dépassera très vraisemblablement les 500 millions d’euros (gare souterraine sous l’aéroport de Charleroi) me semble tout à fait dommageable parce qu’elle compromet des projets beaucoup plus utiles et beaucoup moins coûteux à l’échelle de toute la région.

Cette publication est éditée grâce au soutien du ministère de la culture, secteur de l'Education permanente

 

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