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SDER : l'avis d'urbAgora

lundi 13 janvier 2014,

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L’avis de l’asbl urbAgora dans le cadre de l’enquête publique sur le schéma de développement de l’espace régional wallon (SDER) |1|.

1. Remarques générales

1.1. Sur la forme

Sur la forme du document, tout d’abord, nous soulignons la clarté de sa structure et le souci manifeste des rédacteurs de vulgariser le contenu pour le rendre accessible et faciliter sa compréhension.

Néanmoins, nous regrettons le manque de clarté sur le statut du document. Sa portée et sa valeur législative n’étant pas claires, il est difficile de déterminer à quel niveau de détail il convient de formuler des remarques, ainsi que la marge de manoeuvre disponible. Ainsi, la formule présente en couverture (« projet adopté par le gouvernement wallon ») est pour le moins curieuse (est-ce un projet ou est-il adopté ?), tandis qu’à de nombreux endroits du document, le ton oscille entre impératifs, concrétisations via d’autres procédures à négocier par d’autres acteurs, valeur indicative ou encore modification d’outils existants. Un préambule expliquant le statut du document, la procédure en cours pour son adoption et les dispositifs prévus pour sa concrétisation aurait certainement été d’une grande utilité dans le cadre de la présente enquête publique.

De même, la méthodologie utilisée pour la détermination des objectifs et les différentes cartographies sont trop laconiques. Le peu d’objectifs chiffrés et le choix des chiffres fournis, l’absence de justification du choix des critères utilisés pour la détermination des pôles ainsi que le découpage méthodologique en trois parties non connectées entre elles et pourtant liées dans leur raison d’être donnent l’impression d’un manque de rigueur, d’une sélectivité arbitraire et d’un manque de cohérence qui ne crédibilise pas le propos du document. Des phrases telles que « le recoupement de ces différents éléments a été arbitré pour déterminer la délimitation des bassins de vie » (p. 135) renforcent le sentiment d’un compromis politique mal caché derrière des arguments scientifiques.

Cette situation est récurrente dans la politique wallonne et tend à discréditer les experts dans leur rôle de soutien à la décision publique, soit parce que leurs études sont contraintes au départ par des exigences politiques, soit parce que celles-ci modifient les conclusions des travaux scientifiques. Nous plaidons pour que les décisions politiques — qui peuvent évidemment être légitimes — soient assumées comme telles : les études scientifiques doivent être menées en toute indépendance et demeurer dans un rôle d’aide à la décision. Si leurs conclusions ne sont pas suivies, les responsables politiques doivent en expliquer clairement les raisons.

1.2. Sur le fond

De manière générale, les objectifs énoncés constituent un pas dans la bonne direction. Il est enfin reconnu que l’aménagement du territoire est un enjeu politique majeur et transversal, que l’étalement urbain et la politique du laisser-faire urbanistique nuisibles tant pour l’environnement que pour les finances publiques et la cohésion sociale, que la densification des noyaux d’habitat et le regroupement des diverses fonctions et services en leur sein est la meilleure solution à y apporter, et que la constitution de structures supra-communales est le meilleur moyen de parvenir à ce résultat. Nous sommes par conséquents très positifs sur les intentions exprimées.

Il nous semble cependant que, si chaque objectif pris séparément a sa propre cohérence ou presque, l’intégration entre les différents objectifs reste à accomplir. Par exemple, s’il est bien mentionné que l’urbanisation a surtout empiété sur les terres agricoles, cette fonction est la seule à ne pas bénéficier d’une volonté de redéploiement. La fonction alimentaire est pourtant indispensable à toute société et la situation particulièrement inquiétante des exploitations agricoles — 35 d’entre elles disparaissent chaque semaine en Belgique |2| — devrait inciter à plus d’ambition pour la récupération de terres, ce d’autant plus que la population va augmenter et qu’il faudra bien la nourrir. Par contre, l’ensemble des autres fonctions — logement, activités économiques, zones touristiques et de loisirs — peuvent continuer à croître. L’absence de priorisation claire dans un cadre de terrains disponibles limités est dommageable.

De plus, une large partie du document est consacré à différents aspects du développement économique, sans jamais interroger le type d’économie qui est souhaité. Or, nous savons qu’il est nécessaire de soutenir fortement l’économie locale afin, notamment, de rencontrer les objectifs de Kyoto. Une économie qui use les ressources naturelles use aussi le territoire, comme en attestent les nombreuse friches industrielles et bientôt commerciales laissées aux bons et coûteux soins des pouvoirs publics lorsque la rentabilité de ces activités n’est plus suffisante. Les tentatives exprimées de « cadrer » l’implantation des entreprises sont à la fois trop timides, insuffisantes, et contredites par d’autres mesures. La gestion intelligente du territoire passera selon nous par le soutien à des formes d’économie moins gourmandes et en adéquation plus forte avec les besoins fondamentaux de la population. Le développement économique n’est pas bon en soi : dès lors que nous connaissons les impacts écologiques, sociaux, territoriaux ainsi que pour les finances publiques qui sont produits par l’accueil inconditionnel des activités économiques dont l’accumulation financière est le seul objectif, nous ne pouvons l’ignorer en établissant un schéma pour le développement régional.

2. Remarques particulières à propos des objectifs (partie II)

Pilier I

Concernant l’étalement urbain et la densification de l’habitat

L’asbl urbAgora adhère à ces objectifs. Densifier, améliorer l’accessibilité aux services en rationalisant les distances à parcourir et le nombre de trajets nécessaires tout en préservant l’identité des territoires et leur diversité est une excellente chose.

Les objectifs chiffrés nous paraissent cependant trop peu ambitieux. Freiner l’étalement urbain, même de moitié, c’est toujours poursuivre l’étalement urbain. Les chiffres annoncés peuvent paraître importants, mais ils ne sont pas mis en relations avec les réserves disponibles pour permettre cette poursuite du processus d’urbanisation. Autrement dit : on freine sans savoir jusqu’où on peut se permettre d’aller, tant en disponibilité de territoire qu’en calcul des impacts socio-environnementaux et des coûts publics qu’il faudra bien continuer d’assurer à l’avenir.

De plus, aucun chiffre n’est disponible concernant la capacité d’augmentation de logement par la densification urbaine et celle des noyaux d’habitat ruraux. Avant d’augmenter la surface habitable, il faudrait montrer l’incapacité pour les territoires actuellement habités à répondre aux besoins futurs. Le document parle à juste titre de reconstruction de la ville sur la ville, de division raisonnée des grandes habitations, voire de projets de type « BIMBY » |3|. On peut y ajouter les possibilités de construction en hauteur dans certaines conditions. À titre indicatif, la densité des quartiers denses de Liège avoisine actuellement les 6 000 hab/km2 — très largement supérieure à celle de toutes les autres villes de Wallonie —, là où celle de Paris intra muros est à 22 000. Paris n’apparait pourtant pas comme une ville particulièrement étouffante. La marge de manoeuvre est donc réelle. En conséquence, les objectifs de densification fixés — 20, 30 ou 40 logements à l’hectare, selon le contexte (p. 115) — nous semblent très insuffisants. Nous plaidons pour augmenter ces chiffres de 50 %. Nous préférerions en outre qu’un indicateur agrégeant les différents types de bâtis soit utilisé (mètres carrés bâtis à l’hectare), ou que des gabarits indicatifs soient donnés (minimum rez +4 en zone urbaine dense, par exemple).

Par ailleurs, aucune précision n’est donnée quant aux nouvelles constructions qui seront encore autorisées et celles qui ne le seront pas : sur base de quels critères ? Comment cela va-t-il être décidé ? La mise en pratique de ce freinage va prendre un temps certain pour les discussions, et risque de tourner à vau-l’eau.

Par conséquent, nous demandons des mesures concrètes visant à juguler à court terme l’étalement urbain, couplées à une communication publique claire sur la nécessité de densifier les noyaux d’habitats, mais aussi à un vrai travail culturel visant à proposer des alternatives enthousiasmantes (qu’elles soient rurales ou urbaines) à l’imaginaire péri-urbain qui s’est progressivement installé au sein d’une partie de la population comme le summum de ce qui est désirable, avec des conséquences majeures sur la qualité de vie de la majorité de la population, sur l’agriculture, sur la soutenabilité de notre modèle de société dans son ensemble.

Concernant le rôle des pouvoirs publics dans l’accès au logement pour tous

Les objectifs chiffrés concernant la proportion de logements publics et conventionnés ne sont à la fois pas assez ambitieux et pas assez contraignants. Laisser le choix aux communes de logement public ou conventionné va de facto introduire des disparités entre les communes centrales et celles de la périphérie, et ce sans compter le fait qu’un logement public n’est pas nécessairement un logement social. Actuellement, la norme régionale de 10 % de logements sociaux ne suffit pas à répondre à la demande, là où elle est respectée. Plusieurs dizaines de milliers de familles sont en effet actuellement sur des listes d’attente en Wallonie. Ce nombre risque très fort d’augmenter suite aux effets des mesures d’austérité prises par le gouvernement fédéral, notamment la limitation dans le temps des allocations dites d’insertion et la dégressivité accrue des allocations de chômage, dont les effets commencent à peine à se faire sentir.

On constate dans les faits que les communes les plus aisées ne prennent pas leur part dans l’accueil de la population défavorisée, ce qui a pour effet immédiat de concentrer la pauvreté dans les communes où certaines possibilités existent et de conforter les différences de richesses entre communes. Cette mesure entre donc en contradiction avec l’objectif de favoriser la mixité sociale (I.6). Permettre un écart de 1 à 4 entre le pourcentage minimum et la moyenne wallonne, c’est obliger dans les faits certaines communes à proposer jusqu’à 35 % de logements publics ou conventionnés.

L’objectif de 10 % par bassin de vie est mentionné, sans que la compétence ne soit explicitement citée dans les recommandations pour ces derniers (mesure P1).

Si l’objectif de garder une maîtrise sur le prix des loyers en imposant un pourcentage de logements publics ou conventionnés est louable, nous considérons par contre que celui-ci est insuffisant pour peser réellement sur le prix des loyers et pour garantir l’accès à un logement correct à tous les citoyens.

En conséquence, urbAgora demande l’inscription explicite d’un objectif minimal de 15 % de logements publics ou conventionnés, dont les deux tiers de logements sociaux, dans les compétences des Communautés de territoire, avec une obligation de répartition qui tend vers l’égalité entre communes, par exemple avec un différentiel acceptable de 2 % maximum.

Concernant l’isolation des logements

À nouveau, nous soutenons l’objectif d’isolation du bâti ancien. Les chiffres ne permettent une fois de plus pas de se situer par rapport aux besoins et engagements environnementaux pris par ailleurs, se contentant de noter une avancée dans la bonne direction. De plus, ce qu’on entend par isolation n’est pas défini clairement. L’Annexe 1 nous parle d’isolation en terme de dossiers rentrés pour les primes, ce qui est loin de correspondre au nombre de maisons réellement isolées, plusieurs primes pouvant être demandées pour une même habitation. Cela ne garantit pas non plus la pertinence de l’isolation du point de vue des pertes d’énergie, bien que le système ait été réformé récemment en ce sens.

Dans un communiqué récent |4|, le parti ECOLO fait quant à lui mention d’un impératif de 100 % d’isolation du bâti d’ici dix ans (le niveau d’exigence — le toit ou les vitrages — affiché dans cette demande étant toutefois particulièrement faible).

Étant donné que ce secteur est porteur d’emploi non délocalisable, et qu’il contribue à renforcer le confort du bâti existant dans les centres, nous proposons également de placer la barre haut en atteignant un objectif total d’isolation du bâti d’ici 2025, ce qui implique de renforcer le secteur du bâtiment, tant par la formation que par la production locale de matériaux, si possible écologiques. Cet objectif vient renforcer la nécessité d’augmenter la proportion de terrains agricoles, notamment pour le bois — en usage direct ou pour la cellulose — le chanvre, la paille ou autres, ainsi que certaines exploitations telles que l’extraction d’argile ou de pierre.

Pilier II

Concernant la nécessité de définir les besoins de l’économie dans l’intérêt de la population AVANT de définir les espaces dédiés aux entreprises

Nous insistons pour parler de mettre en place des stratégies de coopération entre territoires plutôt que de compétitivité. Ceci rejoint la remarque introductive concernant le modèle économique que nous souhaitons et ses impacts sur le territoire.

Nous demandons une étude sur les besoins futurs de la population wallonne en produits et services, de manière à planifier l’évolution du territoire en fonction d’une économie au service de la population et en tenant compte des impératifs écologiques. Il est impératif de reprendre le contrôle sur l’affectation de notre territoire selon des critères définis collectivement, avant d’ouvrir les bras à n’importe quelle entreprise ou de soutenir l’ouverture aux marchés d’exportation à des produits qui ne répondent pas à ces défis au seul prétexte de l’emploi. Nous nous étonnons en particulier de la volonté de développer les zones aéroportuaires (objectif également repris en III.1, en III.3 et III.5, au cas où on l’aurait oublié), singulièrement à Liège où les perspectives concernent l’importation de produits qui pourraient être produits localement, alors que l’Union européenne nous enjoint de réduire nos émissions de CO2 de 80 % d’ici 2050 |5|.

Certains éléments de la vision que nous prônons sont d’ailleurs présents de manière indirecte dans le projet de SDER, sans que cela ne soit répercuté dans ce pilier. Citons par exemple le développement d’entreprises dans le secteur de la construction pour l’ensemble de la filière : production de matériaux, transformation, placement, le fort besoin de services aux personnes à domicile en particulier dans les zones rurales (soins, livraisons commerciales,...), création de services de proximité pour répondre à l’augmentation de la population, entreprises dépollution des sols pour permettre leur réutilisation, recyclage, énergies renouvelables, etc.

En fonction des besoins identifiés, il faudra alors, dans une seconde étape, déterminer quels sont les besoins en espace pour le développement de ces activités et comment les situer de manière optimale dans les pôles.

Le projet de SDER est très ambigu sur les questions économiques, oscillant entre la vision de croissance datant des années ’60 et des éléments d’économie relocalisée éparpillés dans les différents chapitres.

Concernant le positionnement de la Wallonie, en particulier de Liège, dans les aires de coopération transnationales

Développer des collaborations entre les territoires est une excellente chose, en premier lieu pour des raisons culturelles et d’enrichissements mutuels sur tous les plans. L’asbl urbAgora soutient l’inscription de la Wallonie dans différentes aires de coopération transnationales.

Nous formulons deux propositions pour le cas de Liège, en particulier pour son inscription dans le réseau de transport trans-européen TEN-T :

  • Établir une liaison directe entre le centre-ville de Liège (gare de Liège-Palais) et Maastricht, par la construction d’un pont ferroviaire sur la Meuse, à hauteur de Coronmeuse., qui aurait d’autres utilités (notamment dans le cadre du REL, et pour soulager la ligne 34, la plus chargée du réseau liégeois, actuellement, pour éviter d’avoir à la dédoubler comme la possibilité en avait été évoquée dans l’étude Sémaly-Transitec, en 2001). Nous notons que cette proposition — développée par urbAgora depuis plusieurs années |6| — a été retenue dans l’étude sur les priorités ferroviaires régionales |7| mais est aujourd’hui fortement compromise par le choix d’implantation du dépôt du futur tram. Le permis unique du tram n’étant pas encore délivré, il n’est pas trop tard pour corriger ce problème.
  • Le choix posé, non sans mal, dans les années ’80 de faire passer par Liège la ligne à grande vitesse reliant Bruxelles et Cologne — plutôt que par un tracé plus direct — était déterminant. Cependant, la nouvelle gare de Liège-Guillemins n’a malheureusement pas été prévue pour accueillir les trains passant par le tunnel sous la manche, en sorte que, si le train à grande vitesse qui reliera demain Francfort (et peut-être Berlin) à Londres passera bien par Liège, il n’est pas prévu qu’il s’y arrête ! Avec le soutien des plus de 15 000 signataires de la pétition que nous avions lancée sur le sujet en mai 2011 |8|, nous demandons que les aménagements nécessaires soient réalisés afin d’éviter que Liège ne soit de fait mise à l’écart des lignes ferroviaires continentales.

Concernant les friches

Une fois de plus, aucune justification n’est donnée quant à l’objectif de ne réaliser que la moitié du travail. Et aucune définition de « friche » n’est fournie au lecteur, en sorte que nous ne pouvons pas savoir par exemple à partir de quelle surface un terrain est considéré comme une friche, ou encore ce terme n’est utilisé que pour certaines anciennes activités. Est-ce que l’ancien hôpital de Bavière, qui n’est ni une friche commerciale ni une friche industrielle, est comptabilisé ? Est-ce que le Val Benoit, où se trouvaient jadis des locaux de l’université, est comptabilisé ? Etc.

Dans les 5 000 ha à réaménager, on suppose qu’il s’agit de la situation actuelle. Or, tout laisse penser que de nouvelles friches vont voir le jour d’ici 2040, en particulier dans les bassins sidérurgiques ou des suites de l’explosion de centres commerciaux. Cette prospective ne semble pas avoir été réalisée.

L’asbl urbAgora propose d’avoir pour ambition de réaffecter l’ensemble des friches industrielles et commerciales à l’horizon proposé, en étudiant la possibilité de création d’un fonds alimenté par les entreprises.

Pilier III

Prendre en compte la dimension structurante des transports en commun

La ligne traduite dans l’intitulé, à savoir « mieux aménager le territoire pour permettre le développement de transports durables », indique une volonté de lier la densité et l’augmentation de la population dans les noyaux d’habitat avec la possibilité d’y (re)mettre en place des transports collectifs, sous-entendu « rentables ». Nous ne pouvons que soutenir cette idée, en regrettant que lesdits transports aient été largement démantelés au cours des décennies passées. Nous soutenons cependant que l’inverse est vrai également : la mise en place de transports publics performants attire la population et rend les axes qu’ils dessert plus denses en habitat et activités. Le transport doit être conçu non pas uniquement pour répondre à une demande (que l’on peut en partie créer ou inciter) mais aussi comme outil d’aménagement du territoire à part entière.

Cette conception peut avoir des impacts directs sur l’identification des pôles. En effet, le rayonnement des pôles tels que définis dans la partie III dépend fortement des possibilités d’accès à ceux-ci. Le réseau de chemin de fer conçu en étoile et convergent entièrement vers Bruxelles a, outre des conséquences désastreuses sur l’organisation et la performance du chemin de fer à l’échelle du pays entier (que la jonction Nord-Midi s’enrhume et c’est toute la Belgique ferroviaire qui se met à tousser), des répercussions sur la manière dont on va définir les pôles. Développer une alternative en Wallonie pour des liaisons intra-régionales aurait pour conséquence directe de rééquilibrer l’attractivité de certaines sous-régions.

En ce sens, urbAgora rappelle ici sa proposition |9| de créer une ligne ferroviaire « transbrabançonne », reliant Mons à Liège à travers le Brabant, soit les deux entités proposées à titre de pôles majeurs, via le Brabant wallon. Cette nouvelle ligne de chemin de fer — largement basée sur des tronçons existants ou à réhabiliter —, faciliterait la mobilité quotidienne de nombreux navetteurs wallons, réduirait considérablement les temps de parcours entre de nombreuses villes hesbignonnes (35’ contre 1h29 pour Waremme-Wavre, par exemple |10|), contribuerait à un maillage intelligent du territoire (permettant de valoriser le réseau existant plutôt que de le dupliquer et donc de l’affaiblir, comme le font d’autres projets ferroviaires), inclurait dans le réseau certains territoires aujourd’hui excentrés (notamment la région de Hannut, l’Est du Brabant wallon ou Genappe) et permettrait en outre de désengorger Bruxelles tant au plan ferroviaire (certains déplacements intra-wallons ne devant plus passer par Bruxelles, libérant donc de la place dans les trains de et vers Bruxelles) qu’au plan routier (dès lors qu’une liaison ferroviaire directe vers Bruxelles pourrait être créée pour des travailleurs qui habitent dans des région aujourd’hui très mal desservies par le transport public, par exemple la région de Jodoigne).

Cet exemple illustre à quel point l’organisation du territoire est question de volonté politique et de création d’outils, et non pas uniquement de réponse à des demandes et d’organisation sur base de données existantes.

Concernant l’accessibilité régionale et internationale de la Wallonie

Cette partie est en contradiction totale avec l’ensemble du document, qui énonce à tout le moins des objectifs compatibles avec le développement durable. Ici, on peut lire en toutes lettres que « la route restera le mode de transport privilégié |11| pour les personnes comme pour les marchandises » et qu’il faut en conséquence « renforcer la capacité du réseau routier wallon », qui va devenir « intelligent ».

L’asbl urbAgora a eu l’occasion à maintes reprises de s’opposer à cette perspective |12|. Le réseau routier wallon est déjà le plus dense d’Europe. Son entretien plombe les finances publiques régionales et il est démontré que son renforcement, loin de fluidifier le trafic, participe à l’augmenter par un effet d’appel. L’objectif III.1 est par conséquent en totale contradiction avec l’objectif III.2.

Nous appelons de nos voeux, une fois de plus, la mise en place d’un réseau maillé de transports en commun, combinant des approches locales et internationales qui se renforcent mutuellement.

Pour certains déplacements continentaux, la réhabilitation des trains de nuit constitue une alternative crédible à étudier.

Concernant la mobilité interne de la Wallonie

Ici non plus, le projet de SDER n’est pas à une contradiction près. Les objectifs chiffrés du report modal de la voiture vers les autres modes de transport sont à nouveau trop faibles.

Pour se référer aux chiffres du transport pour des villes de la taille de Liège — et même plus petites —, le graphique ci-contre |13| montre à quel point la marge de changement peut être importante à condition de mettre en place de réelles politiques intégrées de mobilité. Bien entendu, il faut prendre en compte l’ensemble de la Wallonie et les possibilités ne sont pas équivalentes partout. Il n’empêche : 15 % des déplacements en transports en commun, et 10 % de déplacement à vélo pour les déplacements courts est un objectif ridicule.

Le choix de ne considérer les déplacements que comme des trajets pendulaires, et cantonnés aux motifs « travail » et « accès aux services » sans égard pour les trajets liés à l’entretien de relations sociales, a pour conséquence directe l’omission que l’on finira par croire volontaire de penser la construction d’un réseau maillé composé de plusieurs niveaux de transports conçus en bonne complémentarité, ce qui nécessite une bonne entente entre la SNCB et le TEC, enjeu majeur de la gestion des transports publics en Wallonie, s’il en est. La notion de réseau maillé est présente uniquement pour les distances plus longues, et uniquement pour le chemin de fer, au point III.4.

À nouveau, penser le réseau uniquement comme réponse à une demande supposée pour permettre l’accès aux centres aux habitants/travailleurs de la périphérie est contradictoire avec l’objectif de ramener ces personnes habiter en ville : plus leur mobilité sera facilitée — parfois au détriment de la mobilité intra-urbaine comme l’illustre encore le nouveau projet de tram liégeois ou les différents projets de co-voiturages avec parking relais facilitant l’entrée en ville — plus l’étalement urbain sera encouragé de fait. Développer la mobilité urbaine — et plus généralement la qualité de vie dans les quartiers urbains denses, en réduisant les vitesses, en créant des espaces verts, en soignant l’aménagement des espaces publics — est donc une condition sine qua non à la lutte contre l’étalement urbain et le mitage du territoire. En ce qui concerne Liège et les compétences régionales, cette politique doit se traduire, dans la législature prochaine, par la mise en chantier du projet « Transurbaine », en tram (et non en BHNS qui sera rapidement saturé), desservant Ans, Grâce-Hollogne, Saint-Nicolas, Bressoux, Chênée et Angleur |14|.

Notons encore que la « pensée pendulaire » est essentiellement liée à la mobilité masculine, et qu’elle est loin de prendre en compte la complexité de la majorité des déplacements et des arrêts multiples qui sont effectués au cours de ceux-ci |15|.

3. Remarques à propos de la structure territoriale (partie III)

3.1. De la lisibilité du territoire

Dans l’ensemble de la partie III, le projet de SDER multiplie les concepts, de sorte qu’à force de vouloir clarifier et distinguer nombre de situations, on finit par ne plus rien voir du tout. Ainsi, à côté des territoires centraux présents dans chaque commune, sont cartographiés en complémentarité des « pôles » dont la qualification sémantique traduit bien les susceptibilités wallonnes : deux pôles majeurs, dont un qui regroupe trois ville sous l’appellation d’agglomération métropolitaine autour de Mons, une capitale, et 20 pôles principaux se disputent le podium, tandis que 4 sont qualifiés de pôles secondaires d’agglomération métropolitaines (les pôles majeurs), à ne pas confondre avec les pôles métropolitains, qui concentrent pour leur part les administrations centrales, lieux de décision, universités et autres et ne sont pas forcément situés en Wallonie mais dont il est fait mention du fait de leurs aires d’influences qui, elles, empiètent sur le territoire. On essaie en vain de comprendre pourquoi la capitale n’est pas une zone qui comprend les lieux de décision et les infrastructures de portée internationale, ni pourquoi une université de premier rang international est hors de tout ; et l’on cherche encore le rapport entre la taille de l’agglomération, sa population et son rang hiérarchique.

Ce flou artistique, renforcé par l’arbitraire et le manque de rigueur des remarques générales, est cependant valorisé par un tour de passe-passe oratoire voulant que la pluralité et la diversification des pôles reflètent le dynamisme de la Wallonie !

L’asbl urbAgora regrette ce procédé fourre-tout qui démontre avant tout l’incapacité des dirigeants wallons à se mettre d’accord sur une vision commune du territoire. Pour cette partie, l’enquête publique consiste à demander leur avis aux citoyens sur un faux compromis, exercice auquel nous refusons de nous soumettre tant la proposition est peu crédible. Nous aurions préféré que l’on nous demande de choisir entre plusieurs options claires.

De plus, une mise en lien entre ces tentatives de structuration et la mesure P1 (bassins de vie) aurait certainement permis de mettre de l’ordre et de concrétiser les fonctions de ces pôles, puisque certaines de leur fonctions sont communes, notamment concernant le développement économique.

Par conséquent, urbAgora demande la publication des études scientifiques ayant servi de base à la réflexion, en ce compris le détail de leur méthodologie. Nous nous interrogeons par ailleurs sur la valeur ajoutée au SDER de la définition de tels pôles : les principes énoncés dans les deux premières parties, ainsi que les mesures préconisées dans la quatrième partie sont globalement en cohérence — sauf pour les aspects de mobilité et déplacements des marchandises. Les objectifs de densification et d’arrêt de l’étalement urbain, ainsi que de concentration des services dans les noyaux d’habitats avec une hiérarchie qui y est proposée, couplée avec la proposition de mise en place de communautés de communes au sein des bassins de vie pour assurer la cohérence du développement territorial paraissent suffisants pour structurer le territoire. Si certaines villes offrent, pour une fonction ou plusieurs, un rayonnement international — et celles-ci sont déjà toutes facilement identifiables sans étude préalable —, elles doivent constituer les moteurs des communautés de communes, et le niveau de pouvoir adéquat pour traiter de leur cohérence est bien le niveau régional, charge à celui-ci de les mettre en réseau entres elles selon un modèle de coopération, au lieu de jouer la compétition stérile entre très petites villes dont aucune n’a le gabarit pour jouer sur le terrain international.

3.2. Concernant le réseau routier

Nous retenons que « le réseau routier wallon peut être considéré comme presque complet », ce qui nous semble l’évidence. Mais on aimerait comprendre en quoi la « hiérarchisation » et l’« optimisation » de ce réseau déjà existant peut amener à « réduire des déplacements en voiture individuelle ».

Certaines des extensions envisagées nous semblent contestables, en particulier la liaison CHB dont le statut n’est pas clair sur le graphique de la page 71, puisqu’il ne s’agit ni d’une « autoroute en projet », ni d’un élément du « réseau structurant principal en projet » mais d’une liaison potentielle, catégorie ad hoc fabriquée pour l’occasion.

Rappelons que cette liaison autoroutière n’apportera guère de solution à la congestion urbaine de Liège (le trafic de transit représente moins de 3 % du trafic attendu sur cette autoroute |16|) ni à la saturation du réseau routier actuel (l’essentiel des flux transitant par Liège étant orientés sur l’axe Est-Ouest), mais risque au contraire d’accroître significativement la péri-urbanisation de l’Est de Liège et d’avoir un effet à la hausse sur la pression automobile générale, par un effet d’appel. En outre, la liaison CHB, loin de boucler un « ring » de Liège, accroîtra la pression sur le réseau du Sud de l’agglomération, et notamment sur la vallée de l’Ourthe, amenant rapidement à considérer comme nécessaire un pont au-dessus de celle-ci entre Beaufays et Boncelles. Nous nous trouvons face à un scénario typique de fuite en avant dans lequel chaque « chaînon manquant » réalisé appelle à la réalisation d’un ou deux autres.

L’élargissement du ring Nord de Liège pourrait être considérée comme un moindre mal si CHB devait être abandonnée (c’est-à-dire sa zone de réservation supprimée), mais tel ne semble pas être le cas.

3.3. Concernant le réseau ferroviaire

Nous rappelons ici plusieurs propositions d’urbAgora déjà présentes plus haut dans cet avis :

  • Création d’une liaison ferroviaire directe Liège-Palais/Maastricht par la réalisation d’un pont sur la Meuse à hauteur de Bressoux / Coronmeuse ;
  • Arrêt des trains reliant Londres et l’Allemagne en gare de Liège Guillemins ;
  • Ouverture d’une ligne complémentaire à la dorsale wallonne, appelée « transbrabançonne » reliant les deux pôles majeurs proposés via le Brabant wallon, permettant aussi de désengorger Bruxelles.

En plus de cela, nous plaidons vigoureusement pour la création du réseaux express ferroviaires autour de Liège et Charleroi, outils de mobilité urbaine essentiels, auxquels il n’est étonnamment fait aucune mention dans le projet de SDER.

Au-delà des intentions, urbAgora souhaite voir des réalisations concrètes, et s’étonne des ambitions affichées du SDER alors même que la Région wallonne n’a pas réussi à inclure ces objectifs dans le nouveau plan d’investissement de la SNCB.

3.4. Concernant le réseau de bus

À nouveau, c’est le principe de la hiérarchisation qui l’emporte sur celui du maillage. Cette hiérarchisation véhicule une sémantique inacceptable : les réseaux les plus importants, express, doivent relier entre eux les pôles. Les lignes « classiques » sont quant à elles destinées à la circulation quotidienne au sein d’un bassin de vie. Les lignes scolaires « complètent le réseau », et sont actives uniquement en période scolaire. En dehors de ce réseau complet, on trouve alors les lignes « à caractère social », dont le but n’est plus de transporter publiquement une quantité importante de personnes, mais de désenclaver certains quartiers, villages ou hameaux pour les usages quotidiens.

Dans la perspective de la réalisation du SDER, les noyaux d’habitats seront à nouveau suffisants pour y justifier, même dans une logique rentable, la mise en place d’un service public ouvert à tous et transportant donc publiquement les citoyens.

Nous proposons de considérer la desserte locale comme des lignes classiques, dont certaines peuvent effectuer plus ou moins d’arrêts (par exemple un trajet rapide sur deux) ou parcourir un périmètre plus ou moins important du bassin de vie.

De plus, en zone urbaine, la hiérarchie proposée ne laisse aucune place aux lignes intra-urbaines ! Elle est donc totalement inadaptée. La solution d’inclure de plus petits périmètres dans les lignes classiques répond également à cette contrainte.

Les lignes scolaires, quant à elles, ne doivent pas remplacer des lignes classiques déjà existantes mais renforcer la desserte là où l’offre est manifestement insuffisante.

4. Remarques à propos des mesures (partie IV)

De manière générale, les mesures, prises séparément, marquent des avancées dans la concrétisation des objectifs. Mais, étant donné que ceux-ci sont empreints de contradiction, la cohérence globale des mesures devrait faire l’objet d’un travail particulier visant à établir des priorités, et à opérer des choix là où les objectifs traduits sont incompatibles (cf remarques générales).

Deux mesures en particulier retiennent notre attention, au plan de la démocratie.

Mesure P1 (bassins de vie)

L’idée de structurer des communautés de communes, on doit le supposer, sur le modèle français, est excellente. L’instauration d’un niveau de pouvoir supra-communal adapté aux réalités des bassins de vie et permettant enfin une cohérence à l’échelle des agglomérations est une bonne nouvelle.

Nous formulons cependant deux remarques essentielles.

  • L’idée du caractère volontaire des regroupements, formule qui comporte le gros avantage de ne pas devoir cartographier les bassins de vie, implique une modularité possible des communautés de communes dans le temps, voire en fonction des projets. Cette flexibilité est par ailleurs présentée dans d’autres lieux comme un gage d’efficacité. Elle implique de facto l’impossibilité de traduire ces communautés de communes en un niveau de pouvoir à part entière, élu directement. Le contrôle démocratique des décisions qui y sont prises y devient impossible. L’asbl urbAgora demande la création de communautés urbaines dotées d’instances élues de façon directe et délibérant publiquement, seule formule à même de garantir la démocratie.
  • Nous demandons l’ajout explicite de la politique de création de logements publics et conventionnés dans les compétences de ces communautés urbaines.

Mesure P3 (sensibilisation et participation)

En tant qu’association d’éducation permanente sur ces matières, urbAgora confirme la nécessité d’accroître la sensibilisation de la population aux enjeux de l’aménagement du territoire, de l’urbanisme, de la mobilité et de l’architecture.

L’accent étant quasi exclusivement porté sur les professionnels de ces métiers et mandataires publics, nous demandons d’élargir le soutien aux initiatives de sensibilisation du grand public, notamment en soutenant le développement d’un tissu associatif travaillant sur ces questions, y compris et surtout dans un rôle de contre-pouvoir, dont l’existence est indispensable à la tenue d’un réel débat public sur ces enjeux.

|1| Le document complet peut-être téléchargé sur le site de la Région wallonne. Il est également archivé dans la bibliothèque numérique d’urbAgora.

|3| Quoique ce dernier concept mérite d’être interrogé de façon plus critique qu’il ne l’est aujourd’hui, comme le fait Émilien Robin dans la revue Criticat (cf. « L’imposture BIMBY » (pdf), in Criticat numéro 12, automne 2013).

|5| Voir aussi l’avis d’urbAgora rendu dans le cadre de l’enquête publique sur l’extension du zoning économique « Cahotte 2 et Rossart » le 31 décembre 2013 ainsi que l’analyse Les fleurs de Bierset – sur l’extension du zoning d’activité économique de l’aéroport de Liège, publiée sur Le chaînon manquant.

|6| Cette proposition a été développée dans l’étude d’urbAgora « Les enjeux ferroviaires liégeois, propositions pour la mise en oeuvre d’un REL », octobre 2011.

|7| Le transport ferroviaire : un atout structurant pour la Wallonie, Projet de Plan de développement de la desserte ferroviaire en Wallonie pour la période 2013‐2025, SPW, mars 2012.

|8| Pour l’arrêt en gare de Liège des trains reliant Londres et l’Allemagne, Pétition lancée par l’asbl urbAgora, mai 2011.

|9| Dont on trouvera une présentation détaillée sur le site web http://transbrabanconne.be.

|11| Nous soulignons.

|12| Via notamment sa participation au Collectif pour un moratoire CHB.

|13| Tiré d’un tract édité par le GRACQ de Liège.

|14| François Schreuer, Les enseignements de la « Transurbaine », urbAgora, décembre 2011.

|15| Mathilde Collin, « Les femmes prendront-elles le tram ? », in Le Chaînon manquant, octobre 2010.

|16| Analyse socio-économique de la liaison autoroutière Cerexhe-Heuseux - Beaufays — A605, Stratec, 2003, p.11.

Cette publication est éditée grâce au soutien du ministère de la culture, secteur de l'Education permanente

 

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