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« Médiaciné 223 : le retour ! »

mardi 31 janvier 2017,

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Avis de l’asbl urbAgora dans le cadre de l’enquête publique sur le projet de complexe cinématographique « Médiaciné »

Le nom d’un mauvais film donne le ton de l’avis que nous avons l’honneur de déposer auprès de vous dans le cadre de l’enquête publique sur le projet « Médiaciné ».

Ce projet est pour nous une mauvaise production, visant un mauvais public et de la mauvaise manière. En décembre 2014, dans le cadre d’une précédente enquête publique, urbAgora avait déjà livré une analyse de ce projet, qui ne comptait alors que 6 salles. Nous concluions que ce projet apportait des solutions inadéquates à une problématique volontairement posée de manière biaisée.

Equiper la rive droite d’infrastructures culturelles est pourtant une nécessité de premier ordre, nous en sommes convaincus. Les quartiers bordant la Dérivation sont en effet largement délaissés alors qu’ils comptent parmi les plus peuplés de la Cité ardente. Mais si équipement culturel il y a, il doit être mis au service de la population et du développement d’une dynamique urbaine positive, là où le projet « Médiaciné » tourne le dos au quartier du Longdoz et lui apporte surtout des nuisances.

« Médiaciné » est en effet un projet introverti qui présente de nombreux aspects inquiétants. Il participe d’une dynamique de déplacement d’une activité traditionnelle de l’hypercentre — le cinéma — et surtout de transformation de sa typologie sur un registre d’une urbanité extrêmement limitée. Il est question ici de déforcer le centre-ville tout en transformant un peu plus un quartier populaire en zone commerçante urbaine fortement orientée vers l’automobile. Ce projet est conçu pour déverser un peu plus de bagnoles encore dans une zone cernée par des axes routiers surchargés — quais de la Dérivation, « boulevard de l’automobile », Nationale 3 —, accentuant la pression sur ses rues les plus malmenées — Armand Stouls, de Seraing et d’Harscamp, véritables laissées-pour-compte des orientations urbanistiques prises dans le quartier ces vingt dernières années. Il est en outre un témoignage d’une conception pataude de l’architecture, faisant complètement fi de tout enjeu d’intégration dans un environnement urbain. À nos yeux, ce projet ne constitue en rien une réponse aux besoins du quartier.

Nous avons donc pris le temps de lire la nouvelle étude d’incidence proposée par le promoteur en ce début d’année 2017. Outre un passage de 6 à 10 salles qui n’est pas de nature à nous rassurer, force est de constater que la nouvelle version du projet — franchise vieillissante d’un nanar qui vieillit trop mal — n’apporte aucune amélioration. Les raisons qui nous poussent à nous opposer à ce projet restent donc nombreuses. Nous énumérons ici les principaux arguments qui justifient notre opposition à cette nouvelle mouture.

Une enquête socio-économique douteuse

  • Les promoteurs de « Médiaciné » comptent sur une augmentation de 16 % du nombre de cinéphiles dans la zone de chalandise. Ce chiffre semble sortir de nulle part et ne correspond pas à la réalité du marché du cinéma aujourd’hui, qui tend à voir le nombre de spectateur stagner voire régresser, en raison notamment d’une diversification des modes de réception du cinéma.
  • La zone de chalandise se base sur un rayon de 30 km alentours et ne prend pas en compte l’existence d’une concurrence à Verviers et à Huy (respectivement à... 32 et 33 km !).
  • Des études menées il y a près de 20 ans (avant l’implantation du Kinépolis à Rocourt) ont montré qu’il était impossible de voir cohabiter deux multiplexes cinématographiques à Liège. Il est peu probable que la donne ait changé aujourd’hui, dans un contexte où, répétons-le, la fréquentation des cinémas en Belgique a tendance à s’éroder.

Un contresens dans la fabrique de la ville

  • Le maintien du cinéma « Palace », dans le centre-ville, serait vraisemblablement compromis par l’arrivée de nouvelles salles dans le Longdoz. Et les cinémas de l’asbl Les Grignoux seraient fragilisés. Ces cinémas jouent pourtant un rôle essentiel de dynamisation de l’hypercentre, notamment en soutenant la présence du commerce HoReCa ou simplement l’attractivité du centre, qui dépend aussi du nombre de personnes qui le fréquentent. Un cinéma situé dans une galerie commerçante et orienté vers la mobilité automobile ne produit pas de tels effets au service de la ville.
  • Par ailleurs, s’il est évident qu’il faille repenser les quartiers de la rive droite dans leur rapport au centre-ville, cela devrait pour nous se faire par une intégration de ceux-ci, pas par une mise en concurrence absurde et arbitraire.
  • Les investissements très conséquents consentis par le secteur public depuis plusieurs années pour valoriser la culture dans le centre-ville seraient déforcés par la réalisation du projet « Médiaciné ».
  • Il est prévu que les clients de « Médiaciné » soient, pour 80 % d’entre eux, des automobilistes, venant notamment des bassins de la Vesdre et de l’Ourthe. À l’heure où le projet de tramway est toujours balbutiant — a fortiori en ce qui concerne l’indispensable ligne 2 qui devra desservir la rive droite de la Meuse — et où la Ville de Liège apparaît comme de plus en plus engorgée par la voiture individuelle, nous remettons fondamentalement en cause la pertinence d’une telle vision du développement urbain.

Un flagrant déni des enjeux du quartier

  • Le quartier du Longdoz, comme la rive droite en général, souffre d’un sous-équipement flagrant en infrastructures publiques. Les besoins du quartier sont nombreux : pas de crèche, pas d’infrastructures sportives (à l’exception notable et marginale de la patinoire), pas de maison de jeunes, pas de logement social, pas ou très peu d’espaces verts.... Cette parcelle pourrait être utilisée pour renforcer (avec du logement) ou équiper (avec une infrastructure publique tournée vers la rue) le mini quartier composé des rues Stouls, d’Harscamps et de Seraing, que la coupure de la rue d’Harscamp par le « link » (sic) de la Médiacité a fortement isolé.
  • Concernant le gabarit et la forme du projet, celui s’inscrit délibérément dans l’actuelle « hétérogénéité du quartier », hétérogénéité à laquelle participe justement le complexe de la Médiacité. Considérant cette construction massive, si les ingénieurs ayant réalisé l’étude d’incidence pointent que « la densité du cadre bâti ne permet de visualiser le site que depuis les rives proches des quais Orban et de la Boverie ainsi que depuis le pont et la rue Armand Stouls », nous pensons que ce « que » n’est guère satisfaisant. En effet, les quais de la Dérivation, à proximité de la Boverie, servent aujourd’hui de porte d’entrée dans Liège, et se contenter de constater une hétérogénéité architecturale pour rajouter de l’hétérogénéité architecturale, nous paraît être un argument fallacieux et irrespectueux, tant pour les riverains confrontés à la vision d’un projet d’un tel volume que pour la vision prospective que les autorités devraient avoir pour leur cité.
  • Le cinéma est conçu pour fonctionner avec son parking et non avec son quartier. Tous les accès sont prévus effectivement via le parking en question.
  • La question du parking sauvage et de l’encombrement des places riveraines, question essentielle pour les riverains, a été complètement éludée par l’enquête publique.

La rue Armand Stouls littéralement abandonnée

  • Le nouveau cinéma se propose d’opposer aux habitants de la rue Stouls une façade aveugle de 19 mètres de haut, réduisant cette voirie à un statut de « gaine technique » de la Médiacité, en accueillant son transit automobile, son parking sauvage et les sorties de secours (situées aux étages sur des passerelles en métal, qui risquent de servir de refuge aux fumeurs de la galerie et du cinéma, engendrant force nuisances sonores). Si l’étude d’incidence — réalisée, rappelons-le, par un bureau d’étude choisi par le promoteur — pointe l’absence d’ouverture sur la rue Stouls comme un aspect positif, nous voyons pour notre part le traitement de cette façade comme un élément qui va dégrader un peu plus les lieux de vie des habitants du quartier.
  • Sur la question de l’ombre portée, l’étude d’incidence est formelle : « Pour les habitations situées à l’est (...) le projet induira un effet d’ombrage supplémentaire principalement l’après-midi au printemps et à l’automne mais également lors des matinées hivernales ». Pour les habitants demeurant à l’ouest du projet, en revanche, « le projet induira un effet d’ombrage principalement dans la matinée au printemps et à l’automne et pendant l’après-midi pendant les mois d’hiver, pour autant qu’il y ait du soleil ». Ce qui, évidemment, ne dérangera en aucun cas les riverains qui, vivant à Liège, ont bien entendu renoncé à leur part d’ensoleillement.

Conclusion

Notre avis est donc clair : ce projet est mal préparé et mal pensé. Il va à l’encontre des intérêts des riverains de la rue Stouls, mais aussi de ceux du quartier, pourtant déjà largement défavorisés, et de ceux de la Ville de Liège dans son ensemble. Ainsi nous ne pouvons que nous opposer formellement et fortement à celui-ci, et nous vous demandons de refuser purement et simplement la demande de permis qui vous est soumise.

Pour l’asbl urbAgora,

Laurent Nisen
président

Cette publication est éditée grâce au soutien du ministère de la culture, secteur de l'Education permanente

 

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