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L’accessibilité au logement – un enjeu global, une réponse locale

Quelles évolutions et quelles incidences pour Liège ?

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L’accès au logement est devenu pour une catégorie croissante de la population de plus en plus difficile. Hors le logement reste le principal vecteur d’intégration et son exclusion entraîne les personnes vers une précarité de plus en plus grande conduisant jusqu’au sans-abrisme. Housing Europe a relevé dans sa dernière étude la nécessité de requestionner l’ensemble du modèle de la production du logement public, social ou aidé selon les dispositifs présents dans les politiques menées dans les différents pays européens |1|. L’augmentation des obstacles à l’accès au logement est rencontrée dans l’ensemble des pays européens et cela est renforcé par les inégalités territoriales où les mécanismes de redistribution sont remis en question par l’idéologie néo-libérale. Cette tendance est un des versants de la métropolisation qui se traduit par une croissance de la précarité dans les métropoles, ou grandes agglomérations, tout en concentrant les richesses sur les pôles d’aires métropolitaines qui elles-mêmes sont en extension. Le parc de logement disponible dans les métropoles subit également la concurrence d’autres types d’occupation comme les plateformes d’hébergement touristique de type AirBnB.

Ce phénomène européen, voire mondial, ne se solutionne pas exclusivement par un encouragement à la propriété, loin de là. Les tensions du marché immobilier, la conditionnalité de l’accès aux prêts hypothécaires ainsi que l’augmentation du surendettement des ménages ferment cette opportunité pour une large frange des ménages. Elle contribue également dans de nombreux cas à leur fragilité économiqueC |2|. Le rapport de Housing Europe relève par ailleurs qu’en Europe la part des locataires s’élargit dans le statut d’occupation des logements. Cette tendance est également rencontrée en Belgique. Le droit au logement repris dans les droits fondamentaux consacrés par la Constitution belge depuis 1994 est donc fragilisé, phénomène que l’on retrouve partout en Europe. Ce constat n’est malheureusement pas nouveau puisqu’en 2000 le comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations-Unies attirait l’attention sur le fait que la Belgique connait une « pénurie considérable de logements sociaux » |3| .

De plus le désengagement des autorités nationales ou régionales, selon les répartitions institutionnelles des compétences, reporte la responsabilité de garantir l’accès au logement vers les autorités locales. Cet accès ne se limite plus à l’occupation d’un logement mais doit également répondre à d’autres critères comme la localisation du logement à proximité de services et être connecté aux transports en commun afin d’être réellement inclusif. Ces localisations subissent une pression foncière forte, obstacle important à la production de logement économiquement tenable pour les pouvoirs publics. Les opérateurs publics ou parapublics sont également confrontés au sein des agglomérations à une réticence de plus en plus grande des riverains pour accepter de futures opérations de logement public dans leur voisinage.
Cependant c’est dans les agglomérations que ces logements doivent à présent être produits par construction ou rénovation pour répondre aux critères de proximité des services et des transports en commun et non plus sur les réserves foncières des opérateurs de logement public qui sont localisées en périphérie plus ou moins lointaine des agglomérations. De plus ces deux contraintes, localisation et accessibilité, conduisent à travailler sur du recyclage de site plutôt que de produire du logement neuf sur terrain nu en artificialisant de nouvelles surfaces. Rappelons en outre que le Schéma de Développement Territorial wallon dans sa version actuelle vise à ne plus artificialiser des terrains à l’horizon 2050 |4|. Le recyclage a également une incidence sur le coût des opérations et sur la complexification de leur conduite. Le recyclage de terrain anciennement industriel ou occupé par d’autres activités rallonge ainsi le délai de mise à disposition du foncier par la nécessité dans bien des cas de dépolluer le sol |5|.

Cette problématique de production d’un parc immobilier social au sein des agglomérations est accentuée par une diminution des moyens financiers à disposition des opérateurs. Outre la diminution des dépenses publiques évoquées ci-dessus, cet affaiblissement des moyens est le résultat d’une nécessité de consacrer les budgets publics disponibles à la rénovation du parc existant que ce soit pour des raisons de salubrité ou des impératifs énergétiques. En outre les revenus locatifs générés suivent la fragilisation sociale des occupants et apportent moins de rentrées pour les sociétés de logement de service public qui sont confrontées à des pertes d’exploitation importantes tant pour le logement neuf que pour le parc ancien |6|. Ces deux tendances, priorisation à la remise aux normes du parc et diminution des recettes propres, rendent l’équilibre financier des sociétés de logement de service public de plus en plus difficile et la marge de manœuvre pour produire du logement se réduit encore d’autant.

Dans ce contexte le rôle résiduel du logement public ciblant les populations les plus faibles au détriment de sa mission d’universalité, c’est-à-dire consistant à mener une politique publique couvrant les besoins de l’ensemble de la population quel que soit les revenus des candidats locataires, s’accentue. Les pays européens de tradition universaliste comme les Pays-Bas se rangent à présent dans cette tendance. La volonté en Wallonie comme ailleurs est dès lors que les investissements publics de plus en plus réduits servent en priorité aux populations les plus fragiles via un système d’attribution par points où chaque point est gagné par le candidat locataire en fonction de critères sociaux ou de santé. Ce système généreux sur le fond n’est in fine économiquement pas viable sans un soutien financier massif des pouvoirs publics, ce qui n’est plus le cas. Il faut cependant relever que la réforme du Code Wallon de l’Habitat Durable publiée au Moniteur le 18 juillet 2017 et qui est entré en vigueur le 28 juillet 2017 prévoit la possibilité aux Sociétés de Logement de Services Publics de jouer un rôle de promoteur au sens large, ce qui est susceptible d’étendre leur assiette de revenu, pour autant que l’argent investi dans ces opérations ne proviennent pas de financement public ou des recettes locatives du logement public.

La prise de conscience de la nécessité de réorienter les moyens disponibles vers la remise à niveau du parc de logement public trouve en partie son origine dans l’incendie d’un immeuble de la cité des Oiseaux à Mons en 2003. Il a été un choc mettant à jour l’état exécrable du parc de logement social en Wallonie. Depuis ce drame les investissements régionaux dans le logement public se sont concentrés à partir de juillet 2003 dans la rénovation de plus du tiers du parc existant au travers du Programme Exceptionnel d’Investissement (PEI) rendu possible grâce notamment à un prêt de la Banque Européenne d’Investissement. Il s’est agi d’un effort considérable du Gouvernement wallon étalé entre 2003 et 2013. Le plan PIVERT a poursuivi cet effort à partir de 2007 focalisé sur l’efficacité énergétique des logements avec un investissement nettement moins important. Ces deux priorités ont concentré presque l’entièreté des moyens laissant peu de marge de manœuvre pour la production de nouveaux logements que ce soit par construction ou rénovation. Lors de la mise en œuvre de ces deux plans le parc du logement social a été amputé de ces immeubles les plus vétustes qui ont été considérés comme non améliorables et donc déconstruits.

L’agglomération liégeoise s’inscrit dans ces dynamiques. Le mécanisme classique de production de logement y est fortement grippé. Deux chiffres l’illustrent. Le parc de logement social a diminué sur la commune de Liège de 24,5 % entre 2008 et 2017 passant de 8.138 unités à 6.139 unités alors que pour la même période le parc augmentait de 17 % pour l’ensemble de la Wallonie |7|. Les démolitions entreprises sur le site de Droixhe expliquent en partie cette décrue. La demande n’attend par contre pas le renouvellement de l’offre car entre 2014 et 2018 les dossiers de candidature à un logement social ont cru de 22 % à Liège contre 3 % pour l’ensemble de la Wallonie. 2.489 candidats sont sur les listes d’attente d’un logement social en 2018 à Liège pour 2.039 en 2014. Inévitablement la part des ménages occupant un logement social à Liège suit la même tendance avec 5,80 % des ménages qui vivent dans un logement social en 2017 pour 6,77 % en 2008. L’Agence Immobilière Sociale, principal (AIS) acteur alternatif à la Maison Liégeoise et au Logis Social comble à peine ce déficit même si son poids augmente puisque 133 logement sont gérés par l’AIS en 2012 pour arriver à un stock de 145 logement en 2016. Face à ce constat on peut également regretter de ne pas avoir de données sur un dénombrement du sans-abrisme à Liège alors que la situation en matière de logement est plus que préoccupante |8|.

Quelles sont dès lors les alternatives face à ce tableau offrant peu de perspectives pour répondre à une urgence grandissante illustrée par la croissance des demandes de logement et la caractérisation socio-économique des demandeurs et comment y faire face alors que le secteur du logement public s’apprête à fêter ses 70 ans d’existence et que ce modèle est actuellement remis en question ? Quelles sont les alternatives ? La Ministre Valérie De Bue en charge de la compétence à la Région wallonne en cette fin de législature arrivait à ce constat encore récemment |9|. La politique préconisée par la Ministre est de remettre sur le marché des logements vides dont les SLSP sont propriétaires. Cela représente un gisement pour l’ensemble du parc des SLSP pour la Wallonie de 5.200 logements en 2017 qu’ils soient non louables ou non loués (source Walstat). Il est à relever que seulement 362 logements publics sont non loués ou non louables sur le territoire communal liégeois. Ce gisement est donc loin de compenser à lui seul le déficit accumulé. Toujours selon la Ministre, les réserves foncières de la SWL devraient pouvoir permettre de produire 1.400 logements à l’accession à la propriété. Cette mesure ne rencontre pas le besoin criant de logement locatif accessible comme cela est évoqué ci-avant.

Faut-il dès lors reprendre les recettes qui sont mises en place depuis que le secteur connait des difficultés, c’est-à-dire un trentaine d’années en Belgique et en région liégeoise en particulier ? Pour rappel les Plans communaux d’Ancrage du logement ont été mis en place avec l’adoption du Code du Logement de 1999. Les SLSP et AIS y sont reprises comme des acteurs du secteur au même titre que les associations de promotion du logement, les communes et les CPAS. Cette réforme devait apporter une réponse aux difficultés rencontrées par le secteur du logement public en accroissant et responsabilisant les Collèges communaux dans la coordination des politiques locales de logement. Cette réorganisation en profondeur de la structure décisionnelle a permis une meilleure adéquation entre les projets politiques locaux et leur concrétisation opérationnelle. Les programmes de rénovations urbaines et/ou la politique de la ville ont apporté également leur pierre à l’édifice dans cette diversification/recentralisation de l’action publique en matière de logement vers l’échelle locale.

Mais ici aussi la mécanique a été rapidement grippée puisque le dernier programme communal de logement a été approuvé en 2014 soit moins de dix ans après la mise en place du dispositif. Il est à présent remplacé par le Fonds d’investissement pour le logement public qui aurait une durée d’une législature communale. Lors de la présentation de l’avant-projet de décret en mars 2017 instituant ce fonds, l’Union des Villes et Communes déplorait le sous-financement de celui-ci (36,793 millions par an) par rapport aux précédents programmes de l’ancrage communal |10|. Ce projet de décret ne s’est pas encore formalisé en décret et laisse le secteur dans une attente de clarification quant à sa portée et son contenu.

De plus les initiatives reprises dans le volet d’action des associations de promotion du logement visée à l’article 198 du Code Wallon de l’Habitat Durable conforte les possibilités d’innovation par les associations reconnues |11|. Il faudra cependant être vigilant lors de la mise en œuvre du Fonds d’Investissement pour le Logement Public (FILP) que les structures précédemment soutenues dans le cadre de l’ancrage communal puisse l’être également dans lors de la répartition du droit de tirage.

On relève également que l’aménagement du territoire s’est penché récemment sur le problème au travers d’une des dernières réformes du CoDT qui a reconnu de pouvoir habiter dans des zones non dédicacées précédemment à de l’habitat au travers de la mise en œuvre dans les zones de loisirs et sous certaines conditions d’une nouvelle zone au plan de secteur, zone dite d’habitat vert. Ce dispositif répond à une réelle demande qui vient en complément des efforts importants consacrés au travers de la politique wallonne de l’Habitat Permanent dans les zones de loisirs. Il témoigne aussi de l’extrême complexité rencontrée dans la réalisation d’un programme lorsque des politiques visent à toucher des situations de grande précarité à la fois environnementale (risques d’inondation…), sanitaires et énergétiques. Si la commune de Liège n’est pas principalement concernée par la problématique de l’habitat permanent dans les zones de loisirs, plusieurs communes des vallées de l’agglomération présentent un ou des sites qui rentrent dans cette catégorie.

En outre le secteur continue de se diversifier pour essayer de mettre en place des alternatives comme la société d’investissement immobilier à vocation sociale INCLUSIO financées par des fonds d’investissement ou l’Engagement logement de la ville de Namur |12|. En ce qui concerne INCLUSIO, elle est encore peu présente en Wallonie et n’a pas encore de projet au sein de la région liégeoise. Sur le territoire wallon seul 17 studios ont été réalisés à Ottignies. L’Engagement logement mis en place par la Ville de Namur permet de produire des logements privés gérés par l’AIS lors d’opérations de promotion immobilière.

En conclusion, si le secteur du logement continue sa diversification pour répondre à une demande qui est de plus en plus fragile et multiple, l’écart continue de grandir entre l’offre disponible et la demande croissante de logement public, pour reprendre la nouvelle dénomination du logement social reprise dans la réforme du Code Wallon de l’Habitat Durable. Les chiffres montrent que sur le territoire de la ville de Liège ce fossé s’agrandit plus vite que sur l’ensemble de la Wallonie. Les initiatives associatives, certes de grande valeur et absolument à soutenir, ne rencontrent pas ce déficit grandissant. Faute d’une prise de conscience liégeoise face à ce défi de l’accessibilité financière au logement, la dégradation de la situation et de la dynamique urbaine de l’inclusion par le logement va continuer à s’accroitre avec comme corolaire une augmentation de la précarité urbaine et une atteinte au droit à la ville. Hors, les études récentes montrent que la production de logement tend globalement à rencontrer la demande liée à la croissance démographique et que les projets se relocalisent principalement dans les centralités. Par contre les équilibres quant à l’accès au plus grand nombre à cette production de logement est croissant avec comme solution pour cette population précaire soit le mal-logement ou pire l’absence de logement, soit une résidentialisation plus lointaine des centralités de cette population plus fragile. Cet éloignement a des conséquences dramatiques sur les possibilités d’insertion et d’inclusion qu’offre l’activité urbaine pour cette population. Là aussi la centralité liégeoise à son rôle à jouer. Elle doit y prendre une plus grande part pour que la ville reste accessible sans que la population à faible revenu soit obligée de se déplacer en voiture car contraint d’habiter hors des centralités desservies par le transport collectif. L’accessibilité au logement s’étend à l’accessibilité à l’ensemble des services pour atteindre l’objectif de la ville inclusive.

Alain Malherbe

|1| Pittini & al. (2017), The State of the Housing in the EU 2017, Housing Europe, Brussel.

|2| fr. Bottieau V., Hanin Y., Malherbe A. (2017), Logement en propriété – logement en location ? Quel changement de paradigme, Les Echos du Logement n°122, 36-40, février 2018.

|3| Cfr. la brochure de la Société Wallonne du Logement : Le Programme exceptionnel d’investissements : Un nouvel élan pour la rénovation de l’habitat public wallon. S.D.

|4| Cfr. Schéma de Développement du Territoire, projet approuvé le 12 juillet 2018 et soumis à enquête. Voir le chapitre Anticiper et Muter p. 58, Principe de mise en œuvre : Fournir, à l’horizon 2030, 175.000 nouveaux logements dont minimum 50% en reconstruction de terrains artificialisés et 350.000 nouveaux logements sans artificialisation à l’horizon 2050.

|5| La qualité des sols est cependant dans la Région liégeoise très problématique que le terrain ait été ou non occupé par une activité industrielle. En effet la pollution atmosphérique et l’utilisation de terrain nu comme possibilité de remblayage ont largement contribué à une contamination de l’ensemble de la vallée industrielle mosane durant la période industrielle.

|6| Laurent L. & Malherbe A. (2010), Le logement public un secteur en chantier !, Rapport d’expertise rendu au Vice-Président et Ministre du Développement Durable et de la Fonction publique du Gouvernement wallon en charge de l’Energie, du Logement et de la Recherche.

|7| Toutes les données sont issues de Walstat : https://walstat.iweps.be

|8| La Strada à Bruxelles a entrepris depuis quelques années des opérations de dénombrement de sans-abri qui ont permis d’observer et de mieux comprendre le phénomène. Suite à la nouvelle Ordonnance prise en la matière, Brussel’Help devrait reprendre cette mission. On peut regretter l’absence de ce type de démarche sur Liège.

|9| Cfr. L’interview de Valérie De Bue dans Le Soir du 6 décembre 2018.

|10| Avis de l’Union des Villes et Communes du 20 mars 2017 : http://www.uvcw.be/actualites/33,232,226,226,6903.htm

|11| L’article 198 décrit les missions de l’association de promotion du logement comme suit : « Elle » contribue à la mise en œuvre du droit à un logement décent, notamment en poursuivant l’une des missions suivantes :

1° favoriser l’intégration sociale dans le logement par la mise à disposition d’un logement décent ;

2° procurer une assistance administrative, technique ou juridique relative au logement prioritairement aux ménages de catégorie 1 ;

3° mener des projets expérimentaux permettant le développement des objectifs fixés par le Gouvernement. Les Tournières, Habitat-Service sont deux exemples d’association de promotion du logement reconnues sur Liège et qui ont une action de plus de quinze ans.

|12| Fontaine S. (2018), L’Engagement logement namurois, Les Echos du Logement, n°123, 14-15, juillet 2018.

Cette publication est éditée grâce au soutien du ministère de la culture, secteur de l'Education permanente

 

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