Transports

A Montpellier, le pétrin entre en gare

Elle a coûté 142 millions d’euros, mais c’est une station fantôme. La nouvelle gare «Sud de France» est bâtie au milieu de nulle part, sans même un guichet, et accueille à peine huit trains par jour. Malgré les mises en garde d’écologistes et d’élus qui demandent son retrait, une deuxième de ce genre devrait bientôt voir le jour près de Nîmes.
par Sarah Finger, Correspondante à Montpellier, photos David Richard. Transit
publié le 27 mars 2019 à 20h56

Bienvenue à la gare fantôme «Sud de France». Tout autour, des champs et des chantiers, des camions bennes et des tractopelles. Au-delà, des vignes en friches et des terrains vagues. Et en dessous, une autoroute. Planté au milieu de ce no man’s land, le bâtiment flambant neuf est imposant mais glaçant. Seuls huit trains quotidiens dont quatre TGV animent le vaste hall hanté par les courants d’air.

Cette gare a été inaugurée le 7 juillet dernier en l'absence notable d'Elisabeth Borne, ministre des Transports, victime d'un «problème d'agenda». Cela n'a pas empêché des militants d'Europe Ecologie-les Verts (EE-LV) d'organiser une remarquable «contre-inauguration». Elle a pris la forme d'une danse macabre en tenue de fantômes face à cet édifice qui a coûté 142 millions d'euros.

Eliane et Linda, deux Perpignanaises, croyaient trouver ici de quoi se restaurer avant d'embarquer. Mais cette gare n'abrite ni commerces ni restaurants - ni guichets, d'ailleurs. «Il nous reste une heure pour manger avant de prendre notre train, racontent les jeunes femmes, c'est trop court pour aller jusqu'en ville…» En effet : en transports en commun, le centre de Montpellier se situe à environ trois quarts d'heure. Les voyageurs doivent monter dans une navette qui les emmène dans le quartier d'Odysseum. Là, ils pourront gagner le centre-ville à bord d'un tramway. Lorsque les navettes sont pleines ou se font attendre, c'est à pied que les voyageurs rejoignent Odysseum. D'où ces processions de piétons traînant leurs valises et poussant leurs enfants le long de routes en construction et de voies défoncées.

«Coma artificiel»

Cerise sur le gâteau : cette gare (implantée sur une zone inondable) n'est pas connectée à celle de Saint-Roch, la gare historique de Montpellier située en plein centre-ville. Stéphane, parti le matin de Béziers, raconte : «Je suis arrivé à 11 h 30 à Saint-Roch, j'ai mis une heure en bus pour arriver à la gare Sud de France, mon train pour Paris est dans deux heures et demie… Bref, j'y passe la journée.» Au-delà du problème des correspondances, la confusion entre les deux gares génère de nombreux problèmes, même pour les Montpelliérains, lorsqu'ils découvrent qu'ils arrivent dans cette zone excentrée alors qu'ils croyaient débarquer en centre-ville…

Montpellier Sud de France, pire gare de l'Hexagone ? Presque : d'après un récent baromètre de satisfaction réalisé par la SNCF auprès des usagers, elle décroche la médaille d'argent après celle de Rennes… «Notre vidéo sur cette gare, intitulée "le plus gros fiasco de la SNCF", a dépassé 1,7 million de vues sur Facebook, raconte Manu Reynaud, porte-parole EE-LV à Montpellier. Cette gare fait l'unanimité contre elle. Pour preuve, nous avons lancé une pétition qui a été soutenue par des politiques locaux allant du parti Les Républicains à LFI.» Cette pétition n'a qu'un but : que tous les TGV qui desservent actuellement le centre-ville soient maintenus. «La gare Saint-Roch est située à deux pas de la place de la Comédie, et elle est desservie par quatre lignes de tramway, détaille Manu Reynaud. Elle a été rénovée et agrandie en 2014 pour 55 millions d'euros, elle n'est pas saturée… Nous refusons donc que les TGV qui arrivent à Saint-Roch soient basculés sur la nouvelle gare Sud de France dans le seul but de la remplir !»

Sud de France décroche la médaille d'argent des pires gares du pays, selon un sondage SNCF.

David Richard. Transit

Et pourtant : Pierre Boutier, directeur de SNCF Réseau Occitanie, affirme à Libération que d'ici fin décembre, près de la moitié des TGV desservant quotidiennement Montpellier partiront de Sud de France, soit vingt-quatre trains sur cinquante-deux. «Il faut rappeler que cette nouvelle gare s'inscrit dans le contournement ferroviaire de Nîmes et de Montpellier, une ligne nouvelle à grande vitesse qui permet déjà à 70 % du fret de passer à l'extérieur de ces deux villes, explique Pierre Boutier. Grâce à ce contournement, qui a coûté deux milliards d'euros, le trafic ferroviaire n'est plus saturé sur ce tronçon du littoral.»

Mais ces arguments n'ont pas convaincu les détracteurs de la gare Sud de France. Parmi eux, Carole Delga : la présidente de la région Occitanie a décidé dès 2016 de suspendre ses paiements à cette gare (soit 11 millions d'euros), jugeant insuffisant le nombre de trains qui la dessert. «Quand on gère de l'argent public, on a la responsabilité de cet argent afin qu'il soit utile à la population», tranche la présidente, qui critique vertement les accès à cette nouvelle gare qui «n'ont pas été anticipés» ainsi que les engagements de la SNCF qui «n'ont pas été tenus». Christian Dupraz, conseiller régional (du groupe écologiste «Nouveau Monde») et vice-président de la commission transports et infrastructures, n'y va pas non plus par quatre chemins : «Cette gare sera en déficit permanent tant qu'elle ne sera pas reliée à une ligne grande vitesse se poursuivant jusqu'en Espagne, ce qui n'est pas près d'arriver. D'ici là, dans l'intérêt général, je demande sa fermeture. C'est absurde de la maintenir dans un coma artificiel.» Même Guillaume Pepy, le président de la SNCF, ne se prive pas de «descendre» cette gare. Pressé par Jean-Jacques Bourdin, le 21 septembre sur RMC, de s'exprimer sur son utilité, il finit par lâcher : «La SNCF n'y est pour rien. S'il fallait reprendre cette décision, il faudrait vraiment y regarder à deux fois, trois fois, dix fois…»

«Images de synthèse»

Comment en est-on arrivé là ? A cause de Georges Frêche, l'indéboulonnable maire de Montpellier, devenu président de la région en 2004, et mort en 2010. «Il voulait absolument une nouvelle gare voyageurs sur le territoire montpelliérain alors qu'au départ, le contournement Nîmes-Montpellier n'était prévu que pour le fret», raconte Christian Dupraz. Frêche rêvait tout haut d'une ville qui s'étende jusqu'à la mer. Dans les années 2000, il fait bâtir ex nihilo le quartier Odysseum qui tire Montpellier vers le sud. Les contours d'une future gare se dessinent près de là, de l'autre côté de l'A9.

En 2010, c'est Jean-Pierre Moure qui prend les rênes de l'agglomération de Montpellier. Bientôt, ce fidèle de Georges Frêche se fait le promoteur d'un projet immobilier - 300 000 m2 de bureaux, 3 à 4 000 logements sur 350 hectares - autour de la future gare. «L'objectif est de créer un véritable quartier d'affaires autour de la gare TGV, à l'image du quartier de la Part-Dieu à Lyon ou de Lille-Europe», peut-on lire dans une publication de l'agglo en janvier 2011. Lorsqu'il présente ce projet à la presse, «à grand renfort d'images de synthèse», Jean-Pierre Moure «a les yeux qui brillent», écrit un journaliste de Montpellier Plus… Le projet a été ramené par Philippe Saurel, actuel maire de la ville et président de Montpellier Méditerranée Métropole, à une zone d'activités commerciales de 60 hectares comprenant notamment 130 000 m2 de bureaux et 2 500 logements. Mais au sein de cette «nouvelle ère urbaine», on évoque déjà nombre d'autres chantiers, comme un futur stade de foot.

«Cheval de Troie»

Alors forcément, certains s'interrogent : la gare ne serait-elle finalement qu'un «cheval de Troie pour l'urbanisation d'une zone rurale» ? Un bel alibi pour «satisfaire l'impatience des bétonneurs» ? C'est en tout cas ce qu'affirment France Nature Environnement Languedoc-Roussillon et son président, Simon Popy : «Ces dernières décennies, dans l'Hérault, les surfaces urbanisées ont triplé alors que la population n'a fait que doubler. En trente ans, 17 000 hectares de terres ont été artificialisés.»

Mais ce qui révolte davantage Simon Popy, c'est le bis repetita. «Un nouveau fiasco se profile à l'horizon, à 50 kilomètres à l'est, avec la création de l'autre gare prévue dans le contournement ferroviaire Nîmes-Montpellier. Une nouvelle gare fantôme, perdue dans les champs, à 10 kilomètres de Nîmes…» Comme à Montpellier, les élus n'ont pas laissé passer le train : Nîmes Agglomération saisit l'opportunité de cette nouvelle gare dite «Pont du Gard» (qui sera mise en service en décembre 2019) pour monter un projet urbain de «reconquête économique» baptisé Magna Porta, comprenant un parc de loisirs «aqua-quelque chose» (1) de 30 à 50 hectares. Pour France Nature Environnement, le Gard va reproduire les mêmes erreurs que l'Hérault, en pire : «Ce projet d'environ 180 hectares aura des impacts environnementaux gigantesques sur la biodiversité de cette zone classée Natura 2000, dénonce Simon Popy. Pourtant, on n'assiste à aucune révolte de la population, les décisions des élus passent comme une lettre à la poste… Et dans quelques mois, on se dira à Nîmes ce qu'on se dit déjà à Montpellier : comment a-t-on pu aboutir à ça ?» Pour Carole Delga, «il faut retenir les leçons de cette histoire» : «Construire des gares nouvelles à près de 250 millions d'euros pour vingt trains par jour, ce n'est plus possible.»

(1) Propos d'Yvan Lachaud, président de Nîmes Métropole, rapportés par la Gazette de Nîmes le 21 juin 2018.

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