Interview

Anne Hidalgo : «La gratuité ne peut pas être l’alpha et l’oméga d’une politique de transport»

A l’occasion de la sortie d’un rapport qu’elle a commandé sur la mobilité dans le Grand Paris, la maire de la capitale révèle à «Libération» ses pistes d’aménagements de tarifs et préconise un remaniement de la gouvernance sur cette question.
par Sibylle Vincendon, Photo Marie Rouge
publié le 9 janvier 2019 à 18h41

En mars 2018, alors que la crise des Vélib battait son plein et que les critiques pleuvaient sur Anne Hidalgo, la maire de Paris avait allumé un contre-feu en évoquant, au détour d'une interview, la possible gratuité des transports ­collectifs en Ile-de-France. Elle ­promettait, en tout cas, de faire étudier la question en confiant une mission à trois de ses adjoints : Emmanuel Grégoire (budget), Jean-Louis Missika (urbanisme) et Christophe Najdovski (transports). Intitulé «Pour un big-bang de la tarification des transports dans le Grand Paris», ce rapport, qui vient de lui être rendu, évacue la gratuité totale pour tous mais préconise des aménagements de tarifs et une révision de la gouvernance des mobilités. Anne Hidalgo dévoile ses premiers arbitrages dans Libération.

La première conclusion de ce rapport est-elle que la gratuité totale est impossible ?

La première conclusion, c’est qu’il faut un big-bang de la tarification des transports publics en Ile-de-France. La question posée était : la gratuité des transports est-elle possible, faisable, et à quelle échelle, ­totale ou partielle ? Est-elle une ­réponse aux enjeux de transition écologique et de pouvoir d’achat ? Les salariés bénéficient d’un ­remboursement de 50 % de la carte Navigo, inscrit dans les textes réglementaires. Mais tous les autres, ceux qui ne travaillent pas, ne sont pas salariés ou n’ont pas de déduction de frais professionnels, paient leurs transports au plein tarif. Pour eux, nous pouvons agir. En 2018, nous avons rendu la carte Navigo gratuite pour les adultes han­dicapés et les seniors parisiens sous conditions de ressources. Cette nouvelle étude démontre qu’il est possible et pertinent d’aller plus loin.

Comment ?

La première proposition que je ­retiens, c’est la gratuité des transports publics pour tous les enfants de 4 à 11 ans. Elle existe déjà pour les moins de 4 ans. La deuxième, c’est le pass Navigo gratuit pour les ­Parisiens handicapés de moins de 20 ans. Je souhaite aussi que nous remboursions 50 % de la carte ­Imagine R pour les collégiens et ­lycéens parisiens, en complément du coup de pouce déjà assuré par la région. Enfin, pour avancer de pair sur les transports publics et la pratique du vélo, il semble pertinent de mettre en place la gratuité du Vélib pour les 14-18 ans. Ces quatre mesures font le pari de la jeunesse pour accélérer la transition écologique. Elles sont aussi un gain important de pouvoir d’achat pour les familles parisiennes, dont je tiens à ce qu’elles puissent vivre et s’épanouir à Paris. Elles ­seront mises en œuvre dès septembre 2019. Cela représente cette année un budget de 5 millions d’euros, que nous mobiliserons par des redéploiements. A partir de 2020, nous autofinancerons ces mesures par exemple grâce aux recettes du nouveau marché des panneaux d’affichage publicitaire.

Ces mesures ne concernent donc pas les petits salaires…

J’interviens sur mon domaine de compétence, en tant que maire de Paris. Mais je propose à l’Etat et à la région de s’engager à nos côtés, en modulant le remboursement du pass Navigo des salariés en fonction de leurs revenus. Concrètement, les plus hauts revenus continueraient à bénéficier du remboursement de 50 % de leur carte Navigo par l’entreprise, mais les plus bas revenus bénéficieraient d’un remboursement plus élevé, jusqu’à 100 % remboursés pour les personnes qui ­touchent jusqu’à 1,5 fois le smic. Une mesure équivalente pourrait être envisagée pour les familles ­monoparentales. Cela pourrait ­figurer dans la loi mobilité et serait pris en charge par les entreprises.

Le coût annuel des transports collectifs en Ile-de-France est de 10,1 milliards d’euros, dont 27,1 % payés par les billets des usagers, soit à peu près 2,7 milliards d’euros. Un péage urbain pourrait-il compenser la perte de recettes ?

Non, un péage ne permettrait pas de telles recettes. Et de toute façon, la gratuité ne peut pas être à elle seule l’alpha et l’oméga d’une ­politique de transports ou de ­mobilité. La gratuité est un outil pour permettre de se déplacer mieux, de se libérer d’une voiture qui coûte très cher. Mais il ne faut pas oublier les autres leviers : l’amélioration de l’offre, de la qualité et du confort des transports publics.

Dans certaines villes qui ont adopté la gratuité, on a constaté que ce n’étaient pas les automobilistes qui grimpaient dans le bus mais plutôt les cyclistes et les marcheurs…

La vertu de ce rapport est justement de sortir des idéologies et de regarder quels effets la gratuité peut produire. Si elle provoque le report des piétons et des cyclistes vers le métro et le bus, c’est contre-productif. Paris est une ville complexe, qui a plus de 2 millions d’habitants auxquels s’ajoutent chaque jour 3 millions de travailleurs et visiteurs. Il faut donc une stratégie globale. Il n’y a d’ailleurs pas eu d’étude solide sur les déplacements en Ile-de-France depuis 2010 : c’est un manque.

C’est un reproche fait à la ­présidente de la région, Valérie Pécresse, et à Ile-de-France ­Mobilités, qu’elle préside aussi ?

A l’échelle de notre métropole, le point de fragilité est le système des transports. Il est stratégique pour la transition écologique et pour ­résoudre les disparités territoriales. Or on a d’un côté une Société du Grand Paris, organisme d’Etat qui construit le nouveau métro, et de l’autre, la région Ile-de-France, qui a obtenu en 2005 la compétence complète en sortant l’Etat du jeu. Cette stricte séparation est problématique. On est toujours plus efficace quand on travaille tous ensemble. Le financement aussi pourrait être interrogé. Paris paie plus de 30 % du coût des transports collectifs régionaux alors que les Hauts-de-Seine n’en règlent que 7,5 % à ­richesse et population équivalentes. Cette clé de répartition est ancienne et pourrait être modernisée.

Vous demandez une réforme qui créerait une autorité ­d’or­ganisation des transports à l’échelle de la métropole. La ­région n’en a jamais voulu…

La façon dont la gouvernance est aujourd’hui assurée par la région Ile-de-France pose question, puisqu’elle ne tient pas compte des ­spécificités de la zone dense. Les deux réalités, celle de la grande ­couronne et celle de la petite ­couronne, devraient être prises en compte par l’autorité qui régule. Pour cela, la métropole du Grand Paris devrait bénéficier d’une partie des compétences de transport. Autre point de faiblesse : au conseil d’administration d’Ile-de-France Mobilités ne siège aucun des opérateurs de l’autopartage, du Vélib ou d’autres systèmes. A Paris, nous avons au contraire créé un comité parisien des mobilités qui associe tout le monde, y compris les taxis qui sont le premier service d’autopartage parisien. C’est ce travail collectif qui nous a permis de surmonter les crises des Vélib et d’Autolib.

Les grandes plateformes, type Uber ou Waze, n’y siègent pas. Comment arriverez-vous à établir un rapport de force face à ces conquérants ?

Paris et sa métropole sont parti­culièrement puissantes et peuvent avoir un temps d’avance, en expérimentant des dispositifs qui pourront ensuite servir à toute la France. Pour cela, il faut que la loi nous donne les bons outils et à la bonne échelle : celle de la zone dense. Les mesures que je prends sont pour les Parisiens mais elles pourraient et devraient être métropolitaines. On est un endroit qui invente des ­choses. La question de la mobilité est cruciale mais encore faut-il que la gouvernance soit plus nouveau monde qu’ancien…

Savez-vous qui seront vos ­adversaires aux municipales de 2020?

Pas du tout. C’est pour ça que je ne me précipite pas. Que ce soit chez LREM ou pour la droite, il y a un ­sujet de stratégie et de leadership. Et jusqu’à présent, ils n’ont résolu ni l’un ni l’autre. Mais c’est leur sujet. Moi, ma boussole, c’est d’améliorer la vie quotidienne des Parisiens. Et ces mesures pour les transports y contribuent.

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