Reportage

Dans le triangle de Gonesse, la résistance écolo-rurale à EuropaCity s’organise

Déjà en sursis, le mégaprojet mené par Auchan entre les aéroports de Roissy et du Bourget doit aussi affronter la concurrence d’un plan B porté par une association qui prône l’agriculture de proximité.
par Sibylle Vincendon
publié le 22 février 2019 à 20h36

Si les opposants au projet de mégacentre commercial EuropaCity imaginé par le groupe Auchan s'étaient contentés de dire qu'ils n'en voulaient pas, sans doute auraient-ils eu du mal à remplir la salle Olympe-de-Gouges, prêtée mercredi par la mairie du XIe arrondissement de Paris. Mais ce soir-là, elle était pleine à craquer.

L'assistance, très remontée contre EuropaCity malgré sa promesse de 3,1 milliards d'euros d'investissement et 30 millions de visiteurs par an entre les aéroports du Bourget et de Roissy-Charles-de-Gaulle, venait pour comprendre le projet alternatif de l'association Carma (Coopération pour une ambition rurale et métropolitaine agricole). Un projet agricole appuyé sur le génie du lieu, soit ses «excellentes terres de limon des plateaux», selon l'agronome Marc Dufumier, à la tribune. Dans un combat écologique, proposer un plan B est une manœuvre astucieuse. S'il tape pile dans les préoccupations de l'époque autour de l'environnement et de l'alimentation, ça l'est encore plus.

«Provocation»

Reste encore à le faire connaître. La métropole du Grand Paris va fournir l'occasion. En 2016, elle lançait une consultation pour l'aménagement d'une série de sites, dont le triangle de Gonesse (Val-d'Oise). «Nous avons monté une équipe et nous avons répondu, raconte Robert Spizzichino, président de Carma. C'était un peu une provocation. Nous avons été jetés bien sûr, mais beaucoup de gens nous ont encouragés à continuer.» Partis de l'idée de «sauver les terres de Gonesse», les militants ont commencé par réfléchir autour d'une parcelle de 30 hectares sur les 280 actuellement cultivés pour expliquer comment «rendre moins nocives les pratiques de la culture céréalière». Un truc de donneurs de leçons ? Spizzichino s'en défend : «Nous ne voulons pas chasser les agriculteurs qui sont en place, mais faire évoluer les pratiques vers une transition écologique.»

Trois ans plus tard, voilà les activistes bien plus loin. Le projet Carma est devenu une proposition d'«agroécologie» fondée sur les acquis des recherches environnementales appliquées à l'agriculture. La lutte contre EuropaCity a en effet eu cette vertu inattendue d'attirer des experts de l'agroécologie, des spécialistes du climat, des sols ou de l'eau, des professionnels de l'aménagement et des bénévoles qui n'avaient tous qu'une idée : charpenter le projet pour le rendre de plus en plus crédible. Parti de quelques militants écologistes qui, au début, prêchaient dans le désert, le projet a réuni autour de lui des organismes qui savent de quoi ils parlent : le réseau Biocoop, celui des Amap, France nature environnement et Terre de liens, l'association qui «fait pousser des fermes».

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A force de contributions, le programme s'est renforcé. «Il s'est enrichi sur le plan recherche», dit Robert Spizzichino. Il suffit de se promener sur le site de l'association, Carmapaysdefrance.com, pour s'en convaincre. On y trouve tout ce qui peut fonder une agriculture post-Kyoto : le bocage, la rotation des plantes, l'enrichissement naturel des sols par l'humus et, surtout, la permaculture, «une démarche écosystémique». On n'est pas chez les babas. L'association veut développer «un projet pilote», un modèle.

«Projet citoyen»

«Ce que nous voulons mettre en place, c'est un cycle d'économie circulaire qui passe par la production, la transformation des produits, leur consommation et le traitement des déchets», résume Robert Spizzichino. L'idéal serait d'aller vers «un contrat de transition écologique pour le territoire du pays de France», le secteur où se trouve le triangle de Gonesse. Mais aussi de créer «un centre de recherche et d'innovation technologique sur le thème de l'agroécologie et de l'alimentation». Carma plaide également pour «des formations aux nouveaux métiers de la transition écologique», imagine l'implantation de ces équipements dans les villes du périmètre : Gonesse, Aulnay-sous-Bois, Villiers-le-Bel… «Ce n'est pas un projet uniquement agricole, c'est un projet citoyen», dit le président de l'association. Alors qu'on attend pour le 12 mars une décision du tribunal administratif qui pourrait fragiliser encore plus EuropaCity, Carma serait-il le contre-projet ?

Photos Boby

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