Récit

Transports: Hyperloop, un tube à l’essai

Le projet futuriste popularisé par Elon Musk va être testé, non plus cette fois dans l’ouest des Etats-Unis, mais dans deux départements français, la Haute-Vienne et la Haute-Garonne.
par Christophe Alix et Julie Carnis, Correspondante à Limoges
publié le 2 août 2018 à 18h46

La campagne française, futur terrain d’expérimentation européen de la technologie Hyperloop ? Ce concept de transport terrestre à très grande vitesse, qui se propose de faire voyager des gens à plus de 1 000 km/h dans des capsules propulsées dans un tube, est l’un des projets du milliardaire Elon Musk, patron du constructeur automobile électrique Tesla et de l’entreprise spatiale SpaceX.

Pour l’heure, seule la firme américaine Virgin Hyperloop One, pilotée par Richard Branson, a vraiment testé le concept d’«hypertrain» à sustentation magnétique en propulsant une capsule à 387 km/h sur une piste d’essai de 500 mètres dans le désert du Nevada. L’idée, initialement destinée à relier San Francisco et Los Angeles, va-t-elle devenir une réalité tangible à Limoges et Toulouse ? Les deux villes, qui rêvent depuis longtemps d’une desserte à grande vitesse, devraient bientôt abriter deux pistes d’essai Hyperloop, à l’initiative de deux autres start-up nord-américaines. Objectif : tester tout le potentiel supposé de cette technologie futuriste réputée bien moins chère que le TGV. Après tout, il n’y a pas de meilleure façon de prouver ou de réfuter une idée excellente sur le papier que de l’essayer.

Limousin: une start-up fait miroiter le futur

Droux, non loin de Limoges, doit accueillir un centre de recherche. Le projet, financé par le privé, suscite toutefois encore quelques doutes.

Par Julie Carnis Correspondante à Limoges

A Droux, minuscule commune du fin fond de la Haute-Vienne, Transpod entend inaugurer en 2019 la plus grande piste d'essai Hyperloop construite à ce jour : près de 3 km de long pour tester et éprouver le système modélisé par sa vingtaine d'employés. Le permis de construire sera soumis le 10 août. Une piste avec son centre de recherche qui, espèrent ses promoteurs locaux, «braquera l'attention du monde» sur le Limousin. La start-up est l'un des quatre acteurs mondiaux susceptibles de faire de ce projet une réalité. Son cofondateur, Sébastien Gendron, Français exilé à Toronto, juge son entreprise en position de devenir leader dans le développement de cette technologie. «La vitesse de l'avion à la fréquence du métro», aime à répéter celui qui vise une première ligne opérationnelle à 1 000 km/h autour de 2030.

Conscient de ce que son projet peut avoir de futuriste, l'entrepreneur évite l'hyperbole. «Nous n'inventons rien, les concepts physiques de l'Hyperloop ont été posés dès la création du métro de New York. Mais aujourd'hui nous disposons de la technologie pour faire exister ce mode de transport qui va abolir les distances.»

Passé par Supaero, Airbus et Bombardier, l'ingénieur se fait VRP pour convaincre les Haut-Viennois de l'intérêt d'un centre R&D à 21 millions d'euros qui, promet-il, «accueillera une vingtaine de chercheurs et techniciens dès 2019». Pas gagné : «C'est bien votre truc du futur, mais nos maisons qui valent déjà pas grand-chose, qui c'est qui va nous les racheter quand il passera par là ?» «Et le bruit ? Et les espèces protégées ? C'est d'un boulanger qu'a besoin notre village, pas d'ingénieurs qui partiront en laissant une friche industrielle dans cinq ans !» Une volée de remarques acides que le «CEO» est venu désamorcer fin juin lors d'une réunion publique à Droux.

Charme. Mais pourquoi diable le Limousin ? Les locaux n'en reviennent pas et certains cherchent l'entourloupe. «On nous a souvent conté merveille pour pas grand-chose, souffle l'un d'eux. On a envie d'y croire mais on est méfiants.» Raphaël Le Méhauté, le préfet dont les services instruiront le dossier, ne veut pas, lui, injurier l'avenir : «Si le Limousin peut bénéficier d'un projet aussi prometteur, il faut tout faire pour accompagner et faciliter son installation. Je ne sais pas si l'Hyperloop sera le transport du futur. Ce que je sais, c'est qu'un centre de recherche d'une telle portée ne peut être que bénéfique pour le territoire !» Et de lâcher : «Il faut savoir prendre des risques. J'aime cette vision nord-américaine. En France, on n'ose pas assez.»

En l'occurrence, le risque est mesuré : il n'y a à ce jour pas un denier public engagé sur le projet Transpod. Un financement «100 % privé» qui, lui aussi, en laisse plus d'un pantois. La start-up se contente d'indiquer que «plusieurs grands groupes français et internationaux pourraient être associés au financement fin septembre». Alain Rousset, le président de la Nouvelle-Aquitaine, fait dire par son entourage que «s'il y a du concret, la région accompagnera sur le plan R&D». Quant au président de l'université de Limoges, Alain Célérier, il semble sous le charme de Sébastien Gendron : «Le bonhomme tient la route, j'aime sa façon d'être, discret et franc. Il passe bien ici.» Si bien que l'universitaire a lancé ses équipes sur l'affaire. «Scientifiquement, c'est solide. Nous avons lu les publications de son associé, c'est un travail sérieux. En tant que chercheur, c'est pas tous les jours qu'on a un tel terrain de jeu !» Dans le fond, jubile-t-il, «pour nous, peu importe que l'Hyperloop devienne ce que promettent ses promoteurs. Ce qui nous intéresse, c'est de contribuer à faire sauter les verrous technologiques qui se présentent». Ainsi ses laboratoires ont-ils identifié «des problématiques sur lesquelles nous avons quelques pointures mondiales telles la physique des plasmas ou les questions de télécommunication entre les navettes, pour lesquelles notre laboratoire XLIM fait autorité».

Stage. Gendron insiste d'ailleurs sur la dimension éducative de son centre R&D, «qui comportera un volet accueil du public et des scolaires». Si bien que Transpod a reçu ses premières demandes de stage avant même la mise à disposition du terrain par le conseil départemental : une ancienne voie de chemin de fer abandonnée. Tout un symbole dans cette France rurale à la jeunesse scindée en deux camps irréconciliables. L'un, biberonné à la rhétorique macroniste, ne digère pas l'enterrement du TGV Limoges-Poitiers et le déclassement territorial engendré par le passage aux grandes régions ; l'autre, constitué de néoruraux à la fibre militante, est venu ici justement pour fuir le «nouveau monde».

Toulouse: Objectif dunes

Logée sur l’ex-base aérienne de Francazal, la société Hyperloop TT va tester un dispositif destiné à l’aéroport de Dubaï.

Par Christophe Alix

La capitale française et européenne de l'aéronautique sera-t-elle également réputée un jour comme l'un des berceaux de l'Hyperloop ? La métropole toulousaine se prépare à héberger deux pistes d'essai de la société californienne Hyperloop Transportation Technology sur l'ancien terrain militaire de Francazal, au sud-ouest de la ville. «Le choix de Toulouse s'est imposé pour l'Europe, nos technologies ont énormément à voir avec l'aéronautique, explique Bibop Gresta, le président-fondateur italien d'Hyperloop TT, créé en 2013. Il y a ici un écosystème particulièrement en phase avec nos projets grâce à Airbus et deux pôles de compétitivité autour du transport aérien et spatial et des systèmes embarqués dans les véhicules. C'est la ville des transports de demain.»

Pylônes. A entendre l'entrepreneur italien, sa start-up ferait la course en tête à la fois en termes de technologies (42 brevets déposés) et de financements (35 millions de dollars déjà levés) avec une dizaine de projets plus ou moins avancés à travers le monde : de la Chine à l'Ukraine en passant par la Slovaquie, la Corée du Sud, la région des Grands Lacs aux Etats-Unis, l'Indonésie et surtout les Emirats arabes unis. Hyperloop TT a annoncé l'ouverture de la première ligne mondiale de ce train du futur, qui reliera sur quelques kilomètres l'aéroport international d'Al-Maktoum, à Dubaï, au site voisin d'Al-Ghadeer, à Abou Dhabi, à l'occasion de la prochaine Exposition universelle, à partir d'octobre 2020. Arrivés en avril à Francazal, les premiers tronçons de tubes (20 mètres de long, 4 de diamètre) fournis par l'entreprise espagnole Carbures, un sous-traitant d'Airbus, sont en cours d'assemblage, assure-t-on. Une première piste au sol, d'une longueur de 300 mètres, doit servir à tester la future installation émiratie avant la construction en 2019 d'une deuxième piste d'essai d'un kilomètre de long, suspendue à 6 mètres du sol sur vingt-cinq pylônes espacés de 40 mètres. Les deux démonstrateurs doivent tester le fonctionnement, la sécurité et la maintenance des capsules qui seront envoyées dans le golfe Persique.

A terme, le centre de R&D de Francazal, qui emploie aujourd'hui dix personnes, doit réunir une cinquantaine d'ingénieurs. En attendant la rénovation de l'ancien mess des sous-officiers, les premiers arrivés ont élu domicile dans la tour de contrôle. «Ça avance lentement à cause de complexités liées à la reconversion d'un ancien aéroport militaire, reconnaît Dominique Faure, vice-présidente de Toulouse Métropole. Mais la collectivité va racheter à l'Etat le terrain déjà mis gratuitement à disposition d'Hyperloop TT, pour le reste le projet sera financé sur fonds privés.» Choisi en 2016 comme lieu d'expérimentation de transports, Francazal a été retenu par la société en janvier 2017 pour y implanter son centre européen de R&D. La somme de 40 millions d'euros d'investissements sur cinq ans a été évoquée, ce qu'Hyperloop TT se refuse à confirmer. «On n'a aucune certitude sur l'avenir de cette technologie et son potentiel commercial, reconnaît Dominique Faure, mais on y croit. Notre travail d'aménageur est de créer les conditions pour que cela marche.» Pour Bibop Gresta, la concrétisation en moins de deux ans du projet prouve qu'Hyperloop n'est «plus seulement un concept mais une réalité industrielle». A l'écouter, l'avenir est à la multiplication des liaisons Hyperloop. «Notre technologie est extrêmement compétitive comparée au TGV, et les Etats qui l'adopteront pourront rentabiliser leur investissement en une dizaine d'années», explique-t-il, vantant la faible consommation d'énergie des capsules, prévues pour transporter 3 500 personnes à l'heure, soit 68 000 par jour, à raison d'un départ toutes les trente secondes. «Le système est alimenté par des panneaux solaires posés sur les tubes et l'énergie générée par le freinage des capsules», s'enthousiasme-t-il.

Paysage. Hyperloop TT vise dans un premier temps de petites distances reliant, par exemple, des aéroports à des centres-villes. Mais Bibop Gresta reconnaît qu'il reste du travail sur la régulation de ce nouveau transport. «Ce n'est ni de l'avion ni du train, mais un mélange des deux.» Aussi, «obtenir l'aval des pouvoirs publics pour exploiter du transport commercial de passagers sera long et compliqué, reconnaît-il. Mais, en dehors de ce point, il n'y a pas véritablement d'obstacle.» Et quand on l'interroge sur l'empreinte sur le paysage de ces tunnels de béton cylindriques, il a sa réponse toute trouvée. «On les installera le long d'autoroutes, d'axes de communication déjà existants, ou sous terre dans les zones très denses, explique-t-il. On travaille avec des designers et des architectes pour parvenir à quelque chose de très beau et bien intégré à l'environnement.» A ce jour, aucune ligne au départ de Toulouse n'est envisagée. Mais Dominique Faure rêve à demi-mots d'une liaison reliant sa ville à Montpellier, distante de 196 kilomètres.

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