Avec des si, Paris tiendrait dans une bouteille. Et le Vieux-Port de Marseille serait une vaste zone piétonne. Si le président de la communauté urbaine, Eugène Caselli, en avait confié le réaménagement, en 2010, à Corinne Vezzoni, les voitures n’y auraient plus droit de cité. Et cette pétulante architecte serait plus connue du grand public qu’elle ne l’est aujourd’hui. Le jury constitué à l’époque s’était prononcé en sa faveur. Est-ce justement parce qu’elle ne l’était pas suffisamment quela maîtrise d’œuvre lui a préféré le tandem Norman Foster et Michel Desvignes ? Etait-ce parce qu’elle avait poussé au bout de sa logique le projet de semi-piétonnisation du quartier sur lequel elle était chargée de plancher ?
La déception fut rude, mais sous son casque de cheveux blonds, Corinne Vezzoni, 54 ans, a le cuir épais. Depuis qu’elle a créé son agence, en 2000, à Marseille, avec Pascal Laporte (avec maintenant un troisième associé, Maxime Claude), elle a eu tout loisir d’éprouver la difficulté qu’il y a à construire dans cette ville quand on est, non seulement une femme, mais surtout une « étrangère » – elle a passé son enfance et son adolescence au Maroc. L’aventure du Vieux-Port aura eu le mérite de la mettre en contact avec Frédéric Chevalier, fondateur de la société HighCo et membre de ce jury désavoué, qui avait soutenu son projet – il est décédé depuis, en 2017, dans un accident de moto.
En 2014, il avait conçu l’idée d’un campus d’un genre nouveau :un « camp de base » à la fois incubateur de start-up et lieu de formation pour tous, où chercheurs, entreprises, artistes, viendraient phosphorer sur le futur et mettre en œuvre des solutions visant à adapter nos vies aux grands bouleversements climatiques, technologiques, transhumanistes qui viennent… L’architecture du lieu se devait de refléter ce rêve de gourou. Avec son profil d’outsider, d’architecte citoyenne, d’optimiste pragmatique, Corinne Vezzoni est apparue à Frédéric Chevalier comme la femme de la situation.
Un écosystème harmonieux
Dans un esprit de dépouillement assez spartiate, conforme à la vision du commanditaire, elle a conçu The Camp (ouvert en septembre 2017) comme un archipel de bâtiments cylindriques reliés les uns aux autres par un gros parasol blanc de 8 000 m2 percé en trois points différents de grands cônes de récupération d’eau de pluie :
« Ces espaces circulaires conditionnent les rencontres. On entre par où on veut, on glisse entre les bâtiments. Il y a l’idée qu’on vit dehors. Le parasol favorise la ventilation naturelle. On économise une énergie colossale sur le désenfumage, la climatisation, la lumière même. C’est une réponse à la question : comment vivre autrement demain ? »
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