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Quels usages et quel avenir pour la ligne 44 ?

vendredi 20 décembre 2019, par Caroline Leterme

 

Treize lignes ferroviaires de desserte locale ont fait l’objet, cet été, d’une menace de fermeture par le gestionnaire du réseau belge. Parmi elles, la ligne 44 en province de Liège, reliant Spa à Pepinster via Theux, puis poursuivant son chemin vers Verviers, Welkenraedt et Aix-la-Chapelle. Bien que les autorités locales, régionale et fédérale se soient toutes fermement opposées à cette mise à mort, il n’en demeure pas moins que ce « projet » de réduction du réseau revient cycliquement du côté d’Infrabel. Pour y répondre, il est donc urgent d’entamer sans plus tarder la mise en place d’une stratégie non de maintien mais de réel développement de l’offre et de l’attractivité de ces « petites lignes ».

Le quotidien des navetteurs

Un mardi matin de novembre comme tant d’autres matins. Alors que leur train de Spa arrive en gare de Pepinster, les navetteurs – majoritairement vers Liège et Bruxelles – s’apprêtent à sauter du train L pour filer sur la voie 1 (même quai) et embarquer dans l’IC à destination de Liège-Bruxelles-Courtrai. Las : une fois de plus, quand les portes s’ouvrent, ils entendent celles de l’IC siffler et le train espéré démarrer. Ce n’est pas que leur train ait du retard : c’est que la correspondance n’est (tout simplement...) pas prévue. Ainsi, le train L arrive de Spa à Pepinster à l’heure 09 ; tandis que l’IC vers Liège et Bruxelles quitte cette même gare… à l’heure 09. Sur le même quai. Une aberration, qui a pour conséquence un temps de parcours incertain pour l’usager de la ligne 44 : parti à 7h50 de Spa, il arrivera à Liège-Guillemins tantôt à 8h26 – un optimal temps de parcours de 36 minutes –, tantôt à 8h39 – un temps de parcours nettement moins séduisant de 49 minutes. Notons au passage que le même trajet en voiture prend habituellement 35 à 50 minutes |1|, ce qui démontre dans tous les cas l’attractivité du rail.

Plus corsé pour les navetteurs vers Bruxelles : eux doivent tenter de sauter du train à Pepinster pour attraper l’IC – dont la correspondance, donc, n’est pas assurée – vers Liège-Courtrai, et ainsi arriver à la capitale en une heure et 35 minutes (Bruxelles-Central)… ou alors rester dans le train L jusque Verviers, pour y prendre plus calmement l’IC suivant en direction de Bruxelles-Ostende, et ainsi rejoindre la même gare de Bruxelles-Central en deux heures et neuf minutes – augmentant ainsi leur temps de parcours de 34 minutes. |2| Ici non plus, la voiture n’affiche pas un meilleur temps de parcours : habituellement entre une heure 30 et deux heures 20 |3|.

Menace sur la ligne 44

Cette année, à l’occasion de joutes politico-budgétaires lancées par Infrabel à l’adresse de l’État, la ligne 44 a été – tout comme onze autres petites lignes wallonnes – menacée de fermeture par le gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire |4|. Infrabel entendait ainsi dénoncer le manque de financement suffisant pour assurer le maintien du réseau en bon état, et réclamer des moyens supplémentaires pour la décennie à venir.

Or, comme nous le soulignions déjà en 2012 |5|, supprimer les investissements sur les petites lignes et/ou en provoquer la fermeture à terme (ceci étant la conséquence de cela) engendre des conséquences sociales et écologiques désastreuses. Les premiers pénalisés seront les usagers « captifs », ne disposant pas de voiture pour leurs déplacements |6| ; et l’utilisation des automobiles se verra à nouveau renforcée, amplifiant encore la tendance mortifère du « tout à la bagnole » entamée il y a plusieurs décennies.

La fermeture des petites lignes est en outre un non-sens économique et budgétaire, car cela signifie « aussi réduire l’attrait des grandes, parce que bon nombre d’usagers de celles-ci ont d’abord pris une correspondance pour rejoindre la gare principale d’une région » |7| : sans cette correspondance, on favorise à nouveau d’autres modes de déplacements, individuels et grands consommateurs d’énergie fossile. La prise de conscience de l’urgence écologique et climatique se renforçant de manière exponentielle – notamment par les nombreux rapports d’experts et une mobilisation citoyenne sans précédent –, nous ne pouvons que condamner l’attitude irresponsable et éthiquement insoutenable d’Infrabel dans les options avancées quant au devenir du transport public dans notre pays.

De surcroît, nous partageons la vision que « parce qu’une ligne ferroviaire de desserte locale n’est pas la seule affaire du gestionnaire de l’infrastructure ou de l’opérateur ferroviaire, même s’ils sont au premier plan, la discussion sur l’avenir de la ligne doit être ouverte aux acteurs directement ou indirectement concernés : les autorités organisatrices de transport, les autorités compétentes en matière de mobilité et d’aménagement du territoire, les autorités locales du bassin versant de la ligne, les entreprises de la région et enfin, les citoyens, riverains de la ligne et contribuables. » |8| Lesdites autorités locales ont toutes réagi cet été envers Infrabel, le Gouvernement fédéral et le Gouvernement régional |9| ; Willy Borsus, alors ministre-président de la Wallonie, a également affirmé son « opposition totale et définitive à toute fermeture de lignes ferroviaires » |10| ; l’autorité fédérale – en la personne du ministre de la Mobilité François Bellot – a rappelé (encore récemment) que la fermeture des petites lignes est impossible d’ici 2031 |11|. Tout cela suffira-t-il ? Nul doute qu’il faudra rester vigilants...

Renforcer l’attractivité de la ligne pour les usagers

Il faut donc renverser la tendance, et renforcer dès à présent les atouts des petites lignes, dont la 44 sur laquelle nous nous penchons dans cette analyse. Nous l’avons vu plus haut : sur papier, le temps de parcours pour rejoindre Liège ou Bruxelles en train au départ de Spa est tout aussi valable qu’en voiture, même en l’état où les correspondances optimales ne sont pas assurées. Cependant, d’autres états de fait diminuent fortement cette potentielle attractivité. La ligne 44 propose une seul train par heure, le plus souvent composé de deux uniques voitures (surpeuplées lors des fortes affluences des étudiants du secondaire, et rarement les plus neuves du réseau). En soirée, le dernier train rejoint la cité thermale à 21h10 (en semaine) ou 22h10 (le weekend). Et donc, cette ligne est majoritairement fréquentée par les personnes n’ayant pas d’autre choix – étudiants et personnes sans voiture –, ou résolument partisanes de la mobilité douce. D’après les derniers chiffres disponibles, ils seraient environ 632 voyageurs par jour ouvrable à emprunter la ligne au départ de Spa (un peu plus de 10 000 habitants), et 285 depuis la commune de Theux (un peu plus de 12 000 habitants). |12|

Les solutions pour favoriser et renforcer l’utilisation de la ligne 44 sont évidentes et pourraient être immédiates et peu onéreuses. « C’est statistiquement prouvé, la meilleure manière d’augmenter la fréquentation d’une ligne est d’augmenter la qualité de sa desserte » |13| : ainsi, outre l’impérative correspondance avec les trains IC vers Liège et Bruxelles en gare de Pepinster, il convient de mettre en place une fréquence accrue des trains L entre Spa et Aachen (à raison de deux par heure), d’étendre les horaires jusqu’à une heure plus tardive (aussi bien en semaine qu’en weekend), et enfin de prévoir un matériel roulant de qualité et offrant suffisamment de places.

D’autres solutions complémentaires devraient être mises en œuvre – à Spa et Theux comme ailleurs – pour assurer la pérennité de la petite ligne locale, à commencer par une articulation forte entre l’urbanisme et le transport : une offre de services variés et conviviaux dans les gares et aux abords, des parkings P+R pour voitures et vélos, un service de navettes urbaines de qualité et connecté, la multimodalité des transports, etc. De même, une réflexion sur l’aménagement du territoire doit être menée de front à toute réflexion sur le maintien de la ligne de desserte locale |14| : pour augmenter le nombre d’utilisateurs potentiels, « il est essentiel de densifier dans un rayon de 500 à 700 mètres autour des arrêts ferroviaires et il faut, au-delà, soigner les cheminements doux » |15|.

La Ville de Spa, qui ne possède toujours pas de Schéma de Développement Communal, pourra-t-elle relever ce défi ? Cette commune, en bout de la ligne devenue « cul-de-sac » en 1959, a par ailleurs deux autres atouts de taille à faire valoir pour un maintien fort de la ligne. Tout d’abord, le tourisme, qui draine de nombreux visiteurs (principalement de l’Euregio) dans la ville thermale. |16| Ce tourisme pluriséculaire a d’ailleurs été à l’origine – au XIXe siècle – de la construction de la ligne 44, sollicitée par les établissements thermaux pour faire profiter les curistes d’un mode de transport performant. Ainsi, dès 1861 et jusqu’à la Première Guerre mondiale, des trains express circulaient entre Bruxelles et Luxembourg via Spa, ainsi qu’entre Spa et Cologne, faisant de Spa une gare internationale. |17| A la Belle Epoque, les affiches publicitaires vantent non seulement les eaux minérales spadoises, mais aussi le trajet en seulement sept heures de train de Paris à Spa…

Varier les usages : le transport des marchandises

Second atout de taille pour revitaliser la ligne, qui reste cependant entièrement à (re)mettre en œuvre : le possible transport ferroviaire d’une partie des eaux de Spa Monopole (groupe Spadel). Ce transport fut à l’oeuvre une bonne partie du XXe siècle, pour cesser en 1972 – aux motifs suivants : « l’avènement de la bouteille en plastique éliminant une bonne partie du secteur des vidanges, le fait que des grands dépôts de la capitale proches du rail étaient expropriées pour cause de construction du métro et aussi les lenteurs de la SNCB à fournir un matériel plus souple » |18|.

Du fait de ce passé, l’usine spadoise reste idéalement située en bordure de la voie 2 (actuellement inexploitée) de la gare locale, et pourrait donc facilement acheminer une partie de sa production par le rail. Un projet qui « revient sur la table tous les cinq à six ans mais en reste là » : un manque de volonté vraisemblablement dû aux frais – à charge de l’entreprise – qu’engendreraient le raccordement fonctionnel entre l’usine et la voie ferrée |19|. Or, dans le dernier rapport annuel du groupe Spadel, nous apprenons tour à tour que le bénéfice net de l’entreprise s’élève à 38 millions d’euros, et que « chez Spadel, nous sommes convaincus que les produits naturels et locaux sont meilleurs pour notre santé et pour notre planète » |20|. Oserons-nous gager qu’un jour prochain, les administrateurs du groupe, désormais soucieux de l’image verte de leur entreprise, investiront une partie de leur bénéfice dans les aménagements nécessaires au transport ferroviaire des eaux de Spa… ?

Conclusion

La conclusion qui s’impose n’a rien de neuf : nous avons cruellement besoin d’une volonté politique forte en faveur du maintien et du renfort d’un service ferroviaire de qualité. Les différents niveaux de pouvoir concernés doivent oeuvrer à une mise en œuvre élaborée dans le sens d’une incitation accrue à utiliser le rail. Les localités de Spa, Theux et Pepinster ont la chance d’encore bénéficier d’une ligne de desserte locale, devenue denrée rare de nos jours – rappelons tout de même qu’en moins d’un siècle, la longueur du réseau belge est passé de 5 125 km (en 1930) à 3 602 km (en 2018), soit une diminution de 30 % |21|… D’aucuns iront même jusqu’à imaginer la réouverture de la ligne vers Stavelot et le Luxembourg, comme au temps de son apogée. Mettre une telle proposition sur la table, ainsi que les autres contenues dans cette analyse, se donner les moyens de leur réalisation et ne pas lâcher le morceau face à Infrabel : voilà ce que les usagers et citoyens sont en droit d’attendre de leurs représentants communaux, wallons et nationaux.

|1| Recherche d’itinéraire sur Google Maps entre la gare de Spa et la gare de Liège-Guillemins, départ à 7h45 un jour en semaine.
https://www.google.be/maps (dernière consultation le 28/11/2019)

|2| Un « cas concret pour (essayer d’) avancer », mettant en lumière les conséquences quotidiennes en terme de faisabilité, de temps et de coût d’un changement du mode de déplacement (transports en commun versus voiture) d’un navetteur de la périphérie travaillant à Liège (25 km domicile-lieu de travail) a été récemment publié par FAR. Le lecteur y trouvera le récit détaillé des calculs alambiqués auxquels il a dû se prêter afin de parvenir à dégager une formule suffisamment satisfaisante sur les différents plans.
http://www.far.be/far/publications2019/20191008.pdf (dernière consultation le 12/11/2019)

|3| Recherche d’itinéraire sur Google Maps entre la gare de Spa et la gare de Bruxelles-Central, départ à 7h45 un jour en semaine.
https://www.google.be/maps (dernière consultation le 28/11/2019)

|4| Vanacker, L., « Infrabel menace de fermer 12 petites lignes wallonnes », L’Echo, 27 juillet 2019.
https://www.lecho.be/economie-politique/belgique/general/infrabel-menace-de-fermer-12-petites-lignes-wallonnes/10148681.html (dernière consultation le 12/11/2019)

|5| Lors d’une menace similaire glissée dans les priorités fixées par Infrabel dans son plan d’investissement 2013-2025.
Collin, M. et Schreuer, F., Sauver les petites lignes, impératif économique, écologique et social, analyse d’urbAgora, 29 décembre 2012.
https://lechainonmanquant.be/analyses/petites_lignes.html (dernière consultation le 29/11/2019)

|6| 19 % des ménages belges ne disposent pas d’une voiture particulière.
https://statbel.fgov.be/fr/themes/menages/budget-des-menages (dernière consultation le 2/12/2019)

|7| Collin, M. et Schreuer, F., op.cit.

|8| Walckiers, J., op. cit.

|9| Par exemple les communes de Theux et de Spa, qui ont toutes deux adopté à l’unanimité une motion relative contre la suppression de la ligne, motion assortie d’une série de desiderata.
https://www.lavenir.net/cnt/dmf20190807_01365082/theux-vote-une-motion-contre-la-suppression-de-la-ligne-de-train-44 (dernière consultation le 28/11/2019)

|11| Freres, S., François Bellot : « Il faut investir 35 milliards d’euros dans le rail d’ici 2031 », LaLibre.be, 22 novembre 2019.
https://www.lalibre.be/belgique/mobilite/d-ici-2031-le-montant-global-investi-dans-le-ferroviaire-doit-etre-de-l-ordre-de-35-milliards-5dd6d19d9978e272f9134e35 (dernière consultation le 28/11/2019)

|12| Comptages visuels effectués par la SNCB en octobre 2018, en additionnant les départs de Spa-Géronstère et Spa pour la commune de Spa, et deux de Franchimont, Theux et Juslenville pour la commune de Theux.
https://www.belgiantrain.be/fr/about-sncb/enterprise/publications/travellers-counts (dernière consultation le 2/12/2019)

|13| Walckiers, J., op. cit.

|14| Voir à ce sujet la contribution suivante, qui traite notamment du contrat d’axe, une « réponse pragmatique et opérationnelle » :
Tellier, C., Articuler urbanisme et transport collectif : ils l’ont fait !, analyse d’IEW, 15 janvier 2015.
https://www.iew.be/articuler-urbanisme-et-transport-collectif-ils-l-ont-fait/?fbclid=IwAR34p33JsFrzOzOqYG4MNJ0gM07Dy6ZlkVTbY3Ro7rkyVsVECnOMEj3MQwM (dernière consultation le 28/11/2019)

|15| Ibid.

|16| On dénombre annuellement environ 240 000 nuitées à Spa.
http://www.spatourisme.be/sites/default/files/rapport_dactivites_2015_en_bref_et_en_chiffres.pdf (dernière consultation le 28/11/2019)

|18| Reynaerts, J., Rail(leries)…, in : Réalités, avril 1992, p. 14-16.

|20| Spadel, Rapport annuel 2018. http://www.spadel.com/userfiles/pdf/2112_SPAD_Jaarverslag_2018_FR_LR.pdf (dernière consultation le 28/11/2019)

|21| http://users.skynet.be/sky34004/belgique.html (dernière consultation le 2/12/2019)

Cette publication est éditée grâce au soutien du ministère de la culture, secteur de l'Education permanente

 

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