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Liège-Guillemins, éléphant blanc ?

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L’avènement de la nouvelle gare de Liège-Guillemins est célébré dans le ravissement général. Promue cathédrale de fer et d’acier, la gare doit devenir le fer de lance d’une mobilité durable et d’un nouvel essor pour la cité ardente. À ces deux titres, elle ressemble plutôt à une occasion manquée et à un immense gaspillage. Que l’on aime ou pas le bijou du sieur Calatrava, la nouvelle gare n’a pas été conçue comme un levier de redéploiement urbain et moins encore comme un outil de mobilité régionale.

En matière de mobilité, le coût astronomique de l’objet, de l’ordre du demi-milliard d’euros, pose la question des priorités : était-ce vraiment de cela dont les usagers du train en Wallonie avaient le plus urgent besoin ? L’absence de connexion entre la gare et les transports publics urbains dénote d’une conception discutable du transport ferroviaire. Selon celle-ci, l’on va en voiture jusqu’au centre-ville pour prendre le TGV ou un train pour Bruxelles. À Liège, un branchement direct à l’autoroute a d’ailleurs été construit. Par contre, le nombre de quais a été diminué, restreignant d’autant la capacité de la gare. Cela compliquera le déploiement futur d’un réseau de type « RER » autour de la ville. La flamboyante infrastructure ne contribue que fort peu à désengorger la ville du flot des voitures.

L’impact de la gare sur son environnement urbain, ensuite, est préoccupant. La SNCB a beau jeu de railler le retard pris par les autorités locales dans la définition d’un projet pour le quartier. Elle n’en porte pas moins sa part de responsabilité dans ce fiasco. En déplaçant sans concertation la gare de 150 mètres vers la Meuse, en prétendant se faire urbaniste et aménageuse — notamment à travers son effarant projet de « canal » entre la gare et le fleuve —, en abusant à des fins spéculatives du motif de l’intérêt public pour certaines expropriations, la SNCB et sa filiale Euro-Liège-TGV ont tout fait pour compliquer la réussite d’un projet urbanistique.

Soit dit en passant, on semble bien parti pour tomber à Mons dans les mêmes travers qu’à Liège. Le projet d’une gare prestigieuse du même Calatrava est en train de prendre le pas sur la réouverture de gares dans le Borinage — certaines d’entre elles ne sont même pas officiellement fermées mais la SNCB préfère ne pas y faire arrêter de trains — ou de lignes — il manque par exemple un tronçon de moins de 10 km pour relier Mons et Valenciennes. On peut pourtant penser que de tels projets convaincraient davantage d’usagers d’opter pour le rail qu’un nouveau temple moderniste.

Les différents projets ferroviaires devraient ainsi être soumis à une analyse autrement plus sérieuse des coûts et des bénéfices attendus. En particulier, il serait judicieux de planifier les investissements en fonction de l’exploitation souhaitée du réseau, dont il faut alors définir au préalable le modèle. En Belgique, d’autres considérations, dont le prestige n’est pas la moindre, semblent parfois prépondérantes dans la prise de décision.

Nous plaidons au contraire pour accroître en priorité l’utilisation du réseau existant et d’en diffuser progressivement les bénéfices sur l’ensemble du territoire. À l’instar de la Suisse ou des Pays-Bas, il faudrait tendre vers une exploitation cadencée à la demi-heure sur toutes les lignes, au quart d’heure ou davantage sur les axes principaux et les liaisons suburbaines. Parallèlement, il convient d’envisager systématiquement, région par région, l’ouverture de gares sur les lignes existantes et la mise en service de lignes nouvelles. Enfin, il faut localiser les activités économiques et des lieux d’habitation en fonction des infrastructures de transport afin d’engager un cercle vertueux de transfert de la route vers le rail.

Dans la région liégeoise, citons la réouverture des gares de Vivegnis, Amercœur ou Chaudfontaine comme des priorités évidentes. La création d’une gare IC à Seraing en rive droite, sur une ligne existante mais sous-utilisée, devrait aussi s’imposer. La gare de Bressoux constitue un pôle multimodal potentiel, aujourd’hui réduit au statut de simple point d’arrêt. À plus long terme, le bouclage du réseau ferroviaire liégeois, par la construction d’un pont sur la Meuse en aval de Liège, est également à envisager.

À l’échelle régionale, la modernisation de la dorsale wallonne est une priorité, de même que l’amélioration de la liaison entre Charleroi et Bruxelles, incluant si possible une desserte du plateau de Gosselies. À plus long terme, nous proposons de réfléchir à une « transbrabançonne » reliant Liège à Mons via Waremme, Hannut, Jodoigne, Wavre, Ottignies, Nivelles et Soignies. Contrairement au projet mégalomane de ligne rapide le long de l’autoroute de Wallonie, un tel axe démultiplierait les possibilités du réseau existant, dont il reprend des tronçons, tout en reliant des régions aujourd’hui pas ou mal desservies par le train.

L’arrivée du TGV en Belgique a certes conduit à un regain d’intérêt pour le rail, longtemps voué à une lente agonie. Mais ce projet a été conçu comme un but en soi et non comme l’occasion d’un redéploiement du réseau ferroviaire. Celui-ci a même été longtemps considéré par la SNCB comme un obstacle à ses grands projets, si ce n’est lorsqu’il fallait justifier les crédits engagés. Faire circuler des rames à grande vitesse entre des temples urbains, leviers d’opérations commerciales et immobilières : tel semble être le graal de notre société nationale de transport.

Qu’à chaque époque, il faille ses cathédrales, admettons-le — et préférons avec le choeur voir celles-ci ferroviaires. Veillons cependant à ne pas les laisser s’édifier dans un désert ni à les faire passer pour ce qu’elles ne sont pas.

François Schreuer
Président de l’asbl urbAgora

Bernard Swartenbroekx
Chercheur à l’UCL

 

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