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Une chaîne de parcs pour cautériser la plaie sidérurgique liégeoise

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Alors que l’ère des hauts-fourneaux se referme lentement, un Master plan piloté par l’agence TER esquisse un nouvel avenir pour les grandes friches de la vallée sidérurgique.

Article paru dans le numéro de novembre 2021 de la revue A+.

C’est en octobre 2011 que le couperet est tombé : la multinationale ArcelorMittal fermait la « phase à chaud » de la sidérurgie liégeoise. Tout juste dix ans plus tard, si les travailleurs ont déserté le grand mikado qui taillade encore le paysage, l’humiliation flotte toujours dans l’air. Le peuple ouvrier de la vallée avait dompté la fonte qui dansait dans les halles de coulée ; il lui faut aujourd’hui décharger les avions de l’e-commerce chinois. Sic transit.

Il faut pourtant tourner la page. La fermeture de la cokerie d’Ougrée, en juin 2014, a scellé les derniers espoirs des syndicats en même temps qu’elle a rendu respirable l’air de la vallée. Le dynamitage du haut-fourneau 6 (HF6), qui était perché tel un corbeau sur le cœur de Seraing et s’est couché de tout son long, comme épuisé, a matérialisé, en décembre 2016, sous les yeux de milliers de témoins, l’inéluctable changement d’époque. La levée, en 2018, du « cocon » qui maintenait possible une très théorique réouverture du haut-fourneau B (HFB) d’Ougrée a suivi, puis les permis de démolition pour mettre tout à terre.

Dans ce théâtre d’acier refroidi, devenu paradis des urbexeurs, vient se jouer la pièce d’un Master plan « Vallée ardente » porté par la volonté de la Région comme des principaux acteurs politiques locaux de rendre à l’activité industrielle, de front, les presque 300 hectares des quatre principaux sites de la phase à chaud : l’ancien HF6, la cokerie, le HFB et puis, de l’autre côté de la ville, en aval, l’immense site de Chertal, entre Meuse et Canal Albert, où la fonte, convoyée sur 20 km dans des wagons thermos, devenait acier ; Chertal où le rendez-vous historique d’une sidérurgie intégrée, quasi-maritime, alter ego de la flamande Sidmar, a été manqué. Par manque d’anticipation, de stratégie, de leadership, de consensus social, comme l’avait, sans pitié aucune, pointé Marcel Genet dans son « Rapport Laplace », en 2012 (concluant sur la nécessité de mettre en place des « commissions de réconciliation » pour dépasser l’échec). Ça situe l’enjeu.

C’est l’agence française TER, associée au bureau liégeois Baumans-Deffet, ainsi qu’à IDEA CONSULT (économie), INDDIGO (mobilité) et HEKLADONIA (environnement), qui s’est vu confier la mission par le ministre de l’économie wallon, Willy Borsus et la Société de gestion et de participation (SOGEPA) — tandis que, dans une démarche exactement parallèle, le Studio Paola Viganò (avec Sweco) était chargé de travailler sur le site de Carsid, à Charleroi.

Il n’aura fallu à ces bureaux que neuf (trop ?) courts mois d’un travail manifestement intense avec l’autorité régionale, pour livrer au public une vision négociée de l’avenir de la vallée. Si elle reflète les tensions qui entourent inévitablement un tel dossier, elle recherche aussi la voie d’un compromis raisonnable, encore un peu flottant, entre les multiples attentes qui entouraient les lieux. Avec succès : aucun cri d’orfraie ne s’est fait entendre après la présentation du plan. C’est déjà beaucoup.

Cet esprit de compromis est notable sur le plan du patrimoine. Après avoir (malicieusement ?) annoncé au printemps la mise à nu de tous les sites — suscitant le vote par le Conseil communal de Seraing, d’une motion réclamant la sauvegarde du dernier haut-fourneau —, la Région, sollicitée par les syndicats, interpellée par le milieu associatif, poussée par les bureaux d’étude, a finalement ouvert la porte au maintien d’une dizaine d’éléments emblématiques sur les quatre sites, dont la flèche, le plancher de coulée et les cowpers du HFB. Même si quelques députés de la majorité wallonne s’en sont immédiatement réjouis, le fait est que c’est peu, très peu pour permettre aux prochaines générations de comprendre le processus sidérurgique dans son ensemble — d’autant que la Région ne donne pas la moindre garantie quant au financement des indispensables travaux de rénovation. Le contraste est frappant avec le Landschaftspark Duisburg-Nord (Peter Latz) ou avec les grands témoins miniers wallons ou limbourgeois. Mais c’est mieux que rien.
Au-delà de l’arbitrage de ce premier point de tension, ce nouveau document programmatique vient en quelque sorte remplir les vides du Master plan de la vallée sérésienne (Reichen & Robert et consorts) que la Ville de Seraing avait commandé en 2004 afin, déjà, d’anticiper la fin de l’industrie lourde et qui avait évidemment laissé la cokerie et le HFB, encore fonctionnels à l’époque, en l’état. Il avait par contre esquissé la reconversion du site du HF6, en disposant logement et petite activité économique autour d’un boulevard urbain. Sur ce site, caractérisé comme « fort valloné », cette programmation est respectée par les auteurs, qui y apportent surtout une lecture topographique plus fine, en redessinant le boulevard pour respecter le vallonnement existant (qui était remblayé dans les plans précédents) et en mettant en valeur la corniche.

Ce nouveau Master plan complète aussi celui de 2005 en y intégrant, subtilement, le concept d’une chaîne de parcs que défend Arlette Baumans : une immense continuité verte qui s’ébauche à l’échelle de l’agglomération entière, reliant le Val Saint-Lambert aux étangs de la Julienne. Elle donne une cohérence possible au choix de traiter en une seule étude les sites sérésiens et Chertal. Cette visée pourrait d’ailleurs trouver à se compléter, sur le territoire de la centrale Ville de Liège, à la faveur du Schéma de développement communal (SDC) que celle-ci mène actuellement et dans lequel le bureau Baumans-Deffet est également impliqué. Cette chaîne de parcs se traduit, à Seraing, par l’intention de créer de grands espaces verts en surplomb sur la Meuse, sur les deux sites ougréens, qui se prolonge vers l’amont le long du rail. Reste à voir si la Ville de Seraing va reprendre cette intention à son compte, en assumant les jonctions manquantes, ce qui demanderait notamment l’abandon des projets d’urbanisation du parc de Trasenster ou des terres vierges du Val Saint-Lambert.

Cette chaîne de parc est le fer de lance d’un apport de complexité dans un projet qui aurait pu se limiter à dessiner un nouveau parcellaire industriel, répondant, avec une exigence, sans doute, de qualité et de densité mais certainement pas de mixité, aux besoins des entreprises de la région en mal de zoning. Sur le site de la cokerie (« la plateforme alluviale »), elle provoque la confrontation des fonctions, serpente entre un quai industriel et l’hypothèse — bien incertaine — d’implanter une institution culturelle majeure dans les anciens fours à coke. Quelle nuisance cette programmation qui parle hydrogène, filière bois, économie circulaire,... va-t-elle générer ? Ce sera certainement l’une des clés de la réussite de ce mélange audacieux.

Sur le site du HFB (« château archipel »), elle interroge la nature de l’industrie du siècle à venir, en déviant un peu de la volonté lotissante initiale. L’industrie culturelle est-elle une industrie ? La puissance du lieu n’est-elle pas plus productive que quelques hectares de plus alloués au secteur privé ? Dans la brique de 500 pages, discrètement, le festival des Ardentes donne son nom à l’un des parcs, dans une intention en filigrane d’affirmer Ougrée comme ce grand lieu événementiel qui manque à Liège depuis que Coronmeuse a été vendu à la promotion immobilière. Les auteurs en profitent même pour enfin donner un peu de corps à l’idée que l’université pourrait descendre de sa colline, trouver à atterrir au bord du fleuve, construire une faculté autour du haut-fourneau, près des quartiers populaires. Un téléphérique reliant Ougrée au campus apparaît subrepticement, puis ne revient plus par la suite.
Tout cela est enthousiasmant et ouvre de réelles perspectives, mais reste d’une fragilité florale. Car on ne sait pas que l’université ait nullement l’intention d’aller s’installer à Ougrée. On voit que la concertation avec les Ardentes, avec le club du Standard voisin — et d’autres — reste à mener pour rendre possible la création d’un pôle culturel et événementiel métropolitain, à cheval sur les villes de Liège et Seraing. Un important travail reste à réaliser pour articuler les perspectives qui se dessinent, plus ou moins concrètes, autour d’Ougrée, pour organiser sérieusement la mobilité collective et l’arrivée du vélo dans ce pôle urbain en devenir.

Et puis, il y a que maintenant doivent se finaliser les délicates négociations avec ArcelorMittal, toujours pas abouties, sur le foncier et sur la dépollution. La Région — qui s’est montrée si souvent indifférente au destin poétique de Liège — tolèrera-t-elle que les sommes considérables qui sont en jeu ne soient pas toutes mises au service d’un développement économique conçu comme occupation du foncier par des entreprises directement lucratives ? Verra-t-elle l’intérêt de différer parfois, de phaser, de concentrer l’énergie sur quelques sites, de miser sur la qualité et la densité en laissant du vide pour la prochaine génération et les idées que celle-ci portera ?

Au final, ce Master plan, par son échelle et son ambition, fût-elle exprimée dans la retenue, met en lumière la nécessité d’une dynamique et d’une autorité politiques métropolitaines liégeoises, seules à même de porter un projet tel que cette « vallée ardente », à l’échelle de la troisième agglomération du pays et du grand paysage mosan. Car un Master plan reste une intention, une simple intention, dont la concrétisation dépendra certes du consensus qui se formera autour d’elle, mais surtout des ressources — matérielles mais aussi juridiques ou créatives — qui pourront être mobilisées pour le réaliser.

Cette publication est éditée grâce au soutien du ministère de la culture, secteur de l'Education permanente

 

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