Ce mercredi 15 mars, la société Bavière Développement, responsable de la transformation du site de l’ancien hôpital de Bavière, à Liège, a introduit une demande de permis de démolition partielle des derniers bâtiments subsistants de cette occupation historique. En tant qu’acteurs et associations locales préoccupés par la défense du patrimoine wallon, la préservation de l’histoire sociale de Liège et la gestion saine et juste du développement urbain de notre ville, nous nous opposons fermement à ce que ce permis soit accordé et demandons instamment que les autorités publiques amènent la société à assumer financièrement les conséquences de son inaction et des risques qu’elle a fait courir au bâtiment.
Revenons sur les faits. La société Bavière Développement est propriétaire du site depuis 2012, en suite des sociétés Espace Bavière puis Himmos. Depuis lors, et bien que la conservation du porche de l’hôpital et de sa chapelle soit un des axes du projet de développement du site tel qu’il a été accepté par la Ville de Liège en 2016, Bavière Développement n’a posé aucune mesure pour permettre cette préservation. Les résultats de cette mauvaise gestion n’ont pas tardé : les bâtiments ont fait l’objet de dégradations naturelles et humaines de plus en plus sévères jusqu’à l’incendie des toitures monumentales et iconiques du porche en 2017 puis encore à la fin de l’année dernière. Ces deux événements ont d’ailleurs chaque fois été suivis d’interpellations du Collège communal et de la société par nos associations patrimoniales, sans effet. Livré aux intempéries, et en l’absence de mesures de préservation rendues de ce fait plus qu’urgentes, la dégradation du bâtiment n’a fait que s’accélérer. Aujourd’hui, alors que l’entreprise immobilière a observé ce patrimoine tomber en ruines pendant onze longues années sans réaction, Bavière Développement déplore cet état et se dit « contraint » de procéder aux démolitions pour préserver les façades du bâtiment.
Le porche de l’hôpital de Bavière constitue la dernière trace de l’hôpital historique de Liège, un lieu par lequel la quasi-totalité des familles de la Cité ardente est un jour passée pour célébrer la naissance des uns ou pleurer le décès des autres. Si le bâtiment date du 19e siècle, ces souvenirs unissent les Liégeois de toutes les classes sociales, et en particulier les couches populaires, depuis 1602, date de fondation de l’hôpital. Seule la chapelle de Saint-Augustin, miraculeusement préservée des flammes, est classée. Quant aux façades du porche, de style néo-Renaissance, elles sont bien inscrites à l’inventaire du patrimoine immobilier culturel wallon, sans mesure de protection particulière. Cependant, l’intégralité de l’édifice est aussi dotée de qualités et d’une bonne facture permettant de nombreuses affectations ; en attestent les fonctions que ses salles ont occupées au cours du siècle dernier : pharmacie, bureaux administratifs, dortoirs, cuisines, lieu d’accueil, loges des gardiens, etc.
Il serait inadmissible que les autorités publiques accordent, sous la forme de ce permis de démolition, un blanc-sein à des pratiques de gestion patrimoniale aussi désastreuses. Il faut souligner que d’autres possibilités existaient pourtant. Ainsi, le porche de Bavière, dès son acquisition par Espace Bavière et encore sous la propriété de Himmos, faisait l’objet de contrats d’occupation précaire (bureaux, logements, ateliers d’artistes, showroom immobilier) qui ont assuré le maintien du bâtiment en bon état depuis son abandon en 1987 jusqu’à sa revente à Bavière Développement. En 2007, la populaire émission « Une brique dans le ventre » visitait encore le bâtiment, vivant, entretenu et habité par quatre jeunes artistes |1|. Les pratiques de gestion patrimoniale du porche de Bavière étaient alors montrées en exemple. Sous la propriété de Bavière Développement, on devrait accepter que rien n’était possible sinon de laisser pourrir sur pied l’édifice, et qu’aujourd’hui il faudrait couper le mal à la racine, la bouche en cœur et les larmes de crocodile au coin de l’œil.
Tout cela, pourtant, sans le moindre projet en perspective. Si les intentions de 2016 étaient d’y accueillir une faculté de dentisterie, l’Université de Liège a fait marche arrière il y a déjà plusieurs années. Un vague espoir a fleuri cet hiver, alors que le CHU avait envisagé d’y déplacer d’autres services, mais ceux-ci iront finalement à Coronmeuse. Sans rougir, Bavière Développement ose donc proposer la démolition quasi totale du bâtiment sans projet la justifiant. Ne seraient conservées que les façades classées qui trôneraient sur la friche pour un délai inconnu, attendant un improbable projet, d’autant plus fragiles aux dégradations de toutes sortes, et aux malencontreux coups de pelleteuses. À quoi servirait, en réalité, une telle démolition, si ce n’est à permettre à la société de revendre au plus offrant un morceau de terrain proche du centre-ville et du nouveau pôle culturel provincial ?
Bavière Développement, un consortium composé des importantes sociétés Thomas & Piron, CFE et UrBaLiège, a amplement les moyens financiers pour assumer les conséquences de son inaction. Nous demandons à ce que la Ville de Liège refuse ce permis de démolition et s’oppose une bonne fois pour toutes à cette stratégie prédatrice dont a trop souvent fait les frais notre petit et grand patrimoine local. La société de promotion doit assumer les risques qu’elle a fait courir au bâtiment. Les autorités publiques doivent exiger de la société, à la place d’investir pour la démolition et la dépollution du site, qu’elle dirige cet argent dès à présent pour la préservation du bâtiment ainsi que pour la restauration de ses toitures monumentales et qu’elle cède la main à des gestionnaires plus diligents. À défaut, des sanctions financières lourdes devraient être prises à la hauteur des erreurs de gestion commises et du préjudice subi pour la perte d’un patrimoine immobilier et social cher au cœur des Liégeois. Cela afin qu’un précédent soit créé et que la Ville de Liège se positionne clairement et ouvertement contre ces stratégies spéculatives délétères qui affectent chaque jour un peu plus nos environnements de vie.
Pavel Kunysz, Président de l’asbl urbAgora
Erwin Woos, Président de SOS Mémoire de Liège et Patrimoine
Pierre Hallot, Doyen de la Faculté d’Architecture, Université de Liège
Claudine Houbart, directrice du groupe de recherche DIVA, Université de Liège
Laurent Beudels, Président du Comité de Quartier de l’île d’Outremeuse
Christian Debure, Secrétaire générale de la République Libre d’Outre-Meuse
Michel Charlier, Mayeur de la Commune Libre de Saint-Pholien-des-Prés
Christian Pevée, Président du Vieux-Liège