Fin octobre, la Ville de Liège a publié un avis de marché visant à la réalisation d’une étude d’incidences sur un projet de Master plan urbanistique de la zone comprise entre le rond-point des Prémontrés et le rond-point de la Goffe, en ce compris les places du Vingt-Août et Cockerill — soit le chaînon manquant des quais de la rive gauche, entre l’opération de réhabilitation du quai de Rome, du boulevard Frère Orban (achevée en 2015) et les quais qui seront aménagés dans le cadre du chantier du tram.
Si cet avis de marché a pour l’heure été retiré, il a enfin dévoilé les intentions du Collège communal liégeois. Nous savons qu’il travaille sur ce dossier depuis plusieurs années, sans avoir jamais clarifié ses positions ni mené la moindre concertation avec les habitants ou commerçants du quartier ou avec les associations travaillant sur les enjeux d’aménagement de l’espace public.
Si nous nous réjouissons que l’autorité communale travaille sur ce nœud essentiel de la mobilité liégeoise, qui reste en souffrance depuis bien trop longtemps, et si nous partageons certaines préoccupations dont témoigne ce projet, notamment en ce qui concerne le développement du réseau cyclable, le projet rendu public reste à notre sens largement insatisfaisant en échouant à faire naître de véritables espaces publics de qualité, malgré la suppression d’une grande partie du stationnement en surface. La place Cockerill est traitée comme un espace fonctionnel et, paradoxalement, périphérique. Plutôt que d’être envisagée comme le nouveau cœur d’un quartier végétalisé, elle est conçue comme un large trottoir bordant une voie de circulation. Le quai Sur-Meuse, où l’hypercentre de Liège pourrait retrouver son lien historique et vital avec le fleuve, subit au contraire la mise en place d’une coupure avec celui-ci : les bandes de circulation et les accès au parking ne laissent au bord de l’eau qu’un triangle résiduel, peu appropriable. La place du Vingt-Août est également sacrifiée au profit d’une mise à double sens de la circulation (pour le BHNS), ce qui ne supprimera certainement pas le bruit et la pollution de cette place.
Une grande partie de l’explication de cet échec annoncé se trouve à nos yeux dans l’obstination incompréhensible du Collège communal à maintenir le projet d’un parking souterrain sous la place Cockerill, précisément le même projet que celui qui a été repoussé en 2015 par l’action conjointe des habitants, des commerçants, des cyclistes… Les seules modifications concédées par la ville sont les accès : le colimaçon au milieu de la place Cockerill a été remplacé par quatre trémies devant la Grand-Poste, une proposition qui n’est guère plus heureuse.
Il a pourtant été démontré plus d’une fois que l’hypercentre de Liège n’a pas besoin de parking en ouvrage supplémentaire : comme chacun peut désormais le constater au quotidien grâce à la signalisation dynamique, l’offre de stationnements payants en centre-ville est plus que suffisante. Des centaines de places restent en effet inoccupées chaque jour dans les parkings voisins (Magnette, Cathédrale, Saint-Paul, Saint-Denis…). De surcroît, le départ prochain d’Ethias du centre-ville va libérer plusieurs centaines de places de parking supplémentaires dans le quartier, tandis que l’extension de la Grand-Poste (rue Florimont) prévoit un nombre important de places de parking en sous-sol. Sans compter que Noshaq inaugurera prochainement une centaine de places supplémentaires rue Souverain-Pont.
La volonté du Collège de supprimer le stationnement en surface pour le reporter dans les parkings en ouvrage peut donc se réaliser sans créer d’offre supplémentaire : l’offre existante suffit plus qu’amplement. C’est d’autant plus vrai que le tram et ses parkings de dissuasion finiront bien par entrer en service, en 2024 ou en 2025, ce qui devrait réduire encore la demande de stationnement dans l’hypercentre. À tout le moins, on attendrait d’un Collège soucieux de transition urbaine qu’il attende d’observer les effets du tram sur la mobilité du centre-ville — voire qu’il réalise enfin le réseau structurant cyclable qu’on attend depuis si longtemps — avant de lancer, à contretemps complet, un nouveau projet de parking central.
Alors que les habitants, les commerçants, les acteurs sociaux et culturels du centre-ville sont épuisés — pour ne pas dire laminés — par l’interminable et catastrophique chantier du tram, nous ne comprendrions pas que le Collège communal persiste, en 2022, à lancer un projet de parking, qui s’accompagnera inévitablement de plusieurs années de chantier. L’hypercentre a besoin de respirer, de retrouver une vie quotidienne apaisée.
Bref, il est urgent que la Ville de Liège comprenne qu’un parking sous-terrain contraindrait de façon plus que négative l’aménagement de ces espaces tellement essentiels qui entourent l’université et empêcherait la réalisation d’un aménagement de qualité au bénéfice des habitants et des usagers. Il est plus que nécessaire d’y créer des lieux de vie pour tous les Liégeois plutôt que de se les voir confisqués par des intérêts privés aux projets anachroniques et inappropriés.
Aujourd’hui, la Plateforme Place Cockerill, qui s’était mise en sommeil après la victoire de 2015, se remet donc en ordre de marche et appelle solennellement la Ville de Liège à revenir à la raison, c’est-à-dire :
1. cesser de penser le réaménagement de ses espaces publics en mettant la voiture au centre de ses préoccupations ;
2. laisser respirer ses habitants et ses commerçants. Nul besoin d’engager de nouveaux travaux de grande ampleur dans le centre tant que le tram n’est pas terminé ;
3. piétonniser rapidement la place Cockerill en détournant la circulation, en supprimant les places de parking en surface existantes et en plantant des arbres, ce qui peut se faire pour un coût dérisoire ;
4. lancer une concertation sérieuse concernant l’aménagement des espaces publics entourant l’université, en partant des besoins et des attentes exprimées par les habitants, commerçants et usagers des lieux.
La Plateforme Place Cockerill (urbAgora, GRACQ Liège, l’Association des commerçants de la place Cockerill et du Quai-sur-Meuse)