Les résultats du sondage commandé par le ministre Daerden concernant l’autoroute Cerexhe-Heuseux/Beaufays, à présent connus, n’ont guère surpris que ceux qui veulent bien faire semblant de l’être. Ils confirment les préventions que nous avons exprimées dès l’annonce de ce sondage |1|.
Ces résultats appellent néanmoins quelques remarques plus détaillées de notre part.
1. Le choix de l’échantillon de ce sondage semble avoir été constitué de manière partiale. Pourquoi donner tant de poids (500 sondés sur 1500, contre 700 pour l’arrondissement de Liège) aux zones péri-urbanisées de l’arrondissement de Verviers, largement sur-représentées par rapport à leur population |2| ? On voudrait faire passer pour générale l’opinion des « rurbains » qu’on ne procéderait pas autrement. Et pour cause : c’est principalement à eux que l’autoroute CHB va profiter, en accentuant le phénomène de péri-urbanisation (dilution de l’habitat dans la campagne), avec tout ce que ce mode de vie implique sur les plans écologiques (consomation d’énergie pour le chauffage et la mobilité, destruction des paysages et des biotopes, pression automobile sur les centres urbains) et sociaux (affaiblissement du coeur urbain, impossibilité à financer le maillage du territoire par les services collectifs). Pourquoi, par ailleurs, ne pas s’intéresser à l’avis de tous les Wallons (qui payeront l’autoroute avec leurs impôts) ?
2. Quoi qu’ils en disent (100 % des sondés s’estiment en mesure de porter un jugement éclairé sur le dossier), les répondants sont de toute évidence mal informés, comme en témoignent leurs réponses aux questions de fait qui leurs sont posées. Contrairement à ce que pense une majorité de sondés, les études montrent que CHB ne va pas désengorger le reste du réseau autoroutier ou le centre-ville de Liège. Dans ces conditions, il est permis de relativiser la pertinence des réponses reçues. Il est vrai que tant que les médias ne prendront pas la peine d’analyser en détail les études et se contenteront de relayer comme équivalents les propos de scientifiques et les rodomontades d’un ministre, on restera dans cette confusion, que M. Daerden cherche de toute évidence à entretenir, entre le fait et l’opinion.
3. Malgré ces réserves de taille, qui orientent les résultats du sondage dans un sens favorable à l’autoroute, on constate que seulement un quart des sondés (27 %) estime le projet « indispensable ». Plus de la moitié (55 %) le juge « utile mais pas indispensable ». Conclure que 82 % des sondés ont une opinion favorable du projet est à notre sens abusif. En effet, entre le souhaitable et le possible, il y a une différence qui a pour nom « principe de réalité ». Sans doute peut-on imaginer de très nombreuses infrastructures qui seraient « utiles », au sens où elles faciliteraient la vie à certaines personnes. Nul doute que l’habitant de Cerexhe-Heuseux qui a ses enfants à l’école à Fléron et travaille à Beaufays juge l’autoroute « utile » et il a parfaitement raison de son point de vue individuel. Le projet est-il pour autant justifié collectivement et finançable ? CHB ne saurait être discuté in abstracto, n’a de sens que replacé dans le cadre d’une contrainte budgétaire qui est celle de la Région wallonne et d’une contrainte climatique qui est, a minima, celle des engagements belges, présents et futurs, en matière de réduction des gaz à effets de serre. La question à poser est donc : avec les moyens dont nous disposons (ressources fiscales et quotas de CO2), que pouvons-nous nous permettre de faire ? Et en conséquence : quelles sont les priorités ? On sait que la Région wallonne est en train d’accumuler une dette cachée très préoccupante via des mécanismes de « financement complémentaires » comme celui de la Sofico (mis en cause, soit dit en passant, par l’Europe). Peut-on continuer à s’endetter de cette manière ? Quelles en seront les conséquences à moyen et long terme ?
4. Concernant l’emploi, là encore, la question est à poser en termes de priorités. Le nombre d’emplois induits par l’autoroute est à comparer avec le nombre d’emplois induits par d’autres types d’investissements. Et sur ce plan, les faits sont défavorables à l’investissement routier. On sait par exemple qu’une unité monétaire investie dans les transports en commun génère 19 % d’emplois en plus que la même unité monétaire investie dans la création d’infrastructures routières |3|.
5. Le sondage laisse entendre que les personnes estimant l’autoroute inutile mais comptant néanmoins l’utiliser lui sont implicitement favorables. C’est là un argument curieux (et néanmoins récurrent). Personne n’a le choix entre se déplacer et ne pas se déplacer : tout le monde doit se déplacer — et ne peut le faire qu’en utilisant les infrastructures existantes. Le manque criant d’investissement dans les transports publics depuis des décennies, l’absence effective de politique d’aménagement du territoire et d’autres facteurs obligent de nombreuses personnes à circuler en voiture alors qu’elles préféreraient ou auraient intérêt à se déplacer autrement si elles en avaient la possibilité (si la localisation de leur emploi le permettait, si des services de proximité étaient disponibles, etc). Présenter cette situation comme une fatalité, nier qu’une autre organisation du territoire soit non seulement possible (il suffit de faire 20 km et de franchir une frontière pour s’en rendre compte) mais aussi profondément souhaitable, est une imposture intellectuelle et un assassinat de notre avenir quand on sait les conséquences que cette politique du laisser-faire a d’ores et déjà et aura à moyen terme dans un contexte, notamment, de raréfaction des sources d’énergie primaire.
Comme dans beaucoup de situations de pouvoir — c’est un truisme en sciences sociales —, la décision se trouve bien plus du côté de celui qui choisit les questions que de celui qui donne des réponses. Si M. Daerden avait voulu que son sondage présente quelque crédibilité, il aurait pris la peine de soumettre le questionnaire à la discussion publique, préalablement à la passation du sondage. Nous aurions alors pu proposer que les questions posées soient contextualisées par les éléments de contrainte existants. De la même façon, dans l’information sommaire donnée aux répondants qui le souhaitent, il aurait été utile de mentionner aux sondés le fait que la région liégeoise est l’une des deux plus polluées, en Belgique, par les particules fines, de préciser que celles-ci sont notamment émises par le traffic automobile et de rappeler les conséquences de ce phénomène sur leur santé. Il aurait aussi été utile de préciser le coût estimé de cette autoroute et de donner un ordre de grandeur permettant d’évaluer ce que ce montant représente. Et ainsi de suite. Il est permis de penser que, dans ces conditions, les réponses reçues auraient sensiblement varié |4|.
À nos yeux, ce sondage est donc ni plus ni moins un gaspillage d’argent public, effectué à des fins électorales par un candidat en campagne soucieux de redorer à bon compte son image ternie. Pas de quoi en faire un fromage.
François Schreuer
Président de l’asbl urbAgora
Frédédric Falisse
Président de l’asbl Groupement CHB