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Lettre ouverte au bourgmestre de Verviers

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Liège, le 12 juillet 2010

Monsieur le bourgmestre,

J’ai l’honneur de vous écrire au nom de l’asbl liégeoise urbAgora, pour vous demander de renoncer à l’érection du centre commercial défendu par la société anonyme « Les Rives de Verviers », filiale du groupe immobilier ForumInvest.

Ce projet, par sa taille, par son caractère emblématique, par le moment auquel il arrive, a pris, en effet, une dimension qui dépasse largement le cadre local ou municipal verviétois. Le signal que votre collège donnera en acceptant ou en refusant ce projet sera, pensons-nous, déterminant pour la suite du débat wallon sur la question des implantations commerciales – débat dont l’importance est elle-même considérable.

Selon nous, les arguments qui plaident contre ce projet sont nombreux.

Les études socio-économiques, tout d’abord, indiquent, de façon récurrente, une saturation de l’offre commerciale en province de Liège. Dans ce contexte, la multiplication des projets commerciaux péri-urbains (Retail Park de Soumagne, projet SOLICO à Fléron, nouvelles surfaces récemment autorisées à Eupen ou Malmédy, projet du « Pré-Wigy » à Herstal, extensions récentes du site de Hognoul, Cristal Park de Seraing, développement de la capacité routière du site de Rocourt-Alleur, etc) nous apparaît comme une dangereuse fuite en avant, dont les conséquences sont connues d’avance et observées depuis quelques décennies : dépendance accrue à la voiture individuelle, gaspillage incontrôlé de terrain, étalement urbain, fragilisation du commerce indépendant, destruction à petit feu des centres urbains, de leur urbanité, de leur convivialité, de l’assiette fiscale des communes urbaines qui sont aussi celles qui assument, plus souvent qu’à leur tour, des dépenses au service de la collectivité dans son ensemble.

Face à ce mouvement, loin de constituer une réponse satisfaisante, le développement « défensif » de centres commerciaux au coeur des villes — dont la « Médiacité », récemment inaugurée à Liège, constitue le nouvel archétype et dont le projet « ForumInvest » serait un nouvel exemple — nous semble lui aussi aggraver la situation : si les aspects les plus néfastes du développement commercial périphérique sont partiellement évités, ces projets contribuent tout autant que d’autres à un accroissement d’une offre qui est d’ores et déjà trop importante. Par leur forme très refermée, ils s’avèrent en outre particulièrement inefficaces dans le rôle de « locomotives » au service du quartier. De surcroît, les nombreux parkings souterrains dont ils s’accompagnent contribuent à engorger des voiries urbaines qui ne sont pas dimensionnées pour absorber le flux qu’ils génèrent. Devant pareil constat, les perspectives économiques ou en termes d’emploi, toujours invoquées pour justifier les nouveaux développements, risquent fort de s’apparenter à des trompe-l’oeil, les faillites et les pertes d’emploi générées par un tel projet n’étant jamais comptabilisées par son promoteur.

Dans un contexte où les pouvoirs locaux sont déjà fortement fragilisés et éprouvent parfois de grandes difficultés à remplir leurs missions, la concurrence acharnée entre eux nous semble un très mauvais chemin à suivre. C’est vrai sur le plan fiscal. C’est vrai sur le plan commercial. Sauver les villes dans leur fonction de centralité, c’est-à-dire de rencontre, de mixité et d’échange — enjeu profondément démocratique — passera par la reconnaissance de cette fonction, par une prise de conscience des dégâts que provoque l’étalement urbain, par un renoncement radical à la manière extrêmement dispendieuse, irréfléchie et extensive dont on a aménagé le territoire en Wallonie ces dernières décennies. En matière commerciale, cette nouvelle et nécessaire approche devrait se traduire par une loi — succédant à la « loi Ikea » — ambitieuse et pro-urbaine, bridant la concurrence inter-communale, mettant un terme à la prolifération du commerce péri-urbain. Nous pensons que votre collège, par son attitude, peut contribuer à ce qu’une telle loi soit adoptée — même si nous en sommes loin à ce jour.

Sur le plan paysager, ensuite, voir une ville tourner le dos à son cours d’eau — que ce soit en le recouvrant comme le prévoyaient les premiers projets ou en édifiant en son long un mur de 20 mètres de haut sur plus de 200 mètres de long, comme il est envisagé actuellement — nous parait infiniment triste, a fortiori quand cette ville porte de titre de capitale wallonne de l’eau.

Sur le plan de l’architecture, une intervention aussi lourde que celle qui est envisagée devrait à nos yeux faire l’objet d’un concours d’architecture — être accompagnée en tout état de cause d’une exigence de qualité formelle qui nous semble pratiquement absente dans le débat actuel : à aucun moment l’insertion de l’ensemble dans le tissus urbain n’a semblé une préoccupation pour un promoteur principalement occupé à y faire rentrer « au chausse-pied » un nombre manifestement trop important de mètres carrés.

Au contraire, le développement d’un espace vert que proposent certaines acteurs associatifs verviétois — éventuellement couplé à des opérations commerciales nettement plus modestes —, en lieu et place du mastodonte aujourd’hui projeté, nous semble une initiative plus porteuse d’avenir, susceptible de contribuer au bien-être des habitants actuels et au retour vers la ville de personnes qui l’ont quittée faute d’y trouver la qualité de vie à laquelle ils peuvent légitimement prétendre.

Nous ne pensons pas que le type de développement que proposent ForumInvest et ses homologues soit intéressant à long terme pour une ville. Leur principale préoccupation concerne la part de marché qu’eux-mêmes ou leurs acheteurs pourront conquérir — sans se préoccuper des dégâts occasionnés pour le tissu commercial existant. L’amortissement des opérations immobilières qu’ils réalisent est calculé à relativement court-terme, en tout cas à l’échelle de la vie d’une ville. Le risque est bien réel, par conséquent — les exemples n’en manquent pas — une fois que l’opération aura été réalisée et qu’elle aura généré le profit attendu, de voir le vaisseau aujourd’hui rutilant sur papier glacé se transformer, quinze ou vingt ans plus tard, en épave, dont l’assainissement deviendra un problème pour la collectivité.

En espérant que ces arguments pourront alimenter de façon utile la discussion, je vous prie d’agréer, Monsieur le Bourgmestre, l’expression de mes salutations distinguées.

François Schreuer
Président de l’asbl urbAgora

 

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