1. Un projet positif et bienvenu
Le 16 octobre dernier, les échevins de l’urbanisme et du développement économique et territorial de la Ville de Liège, Jean Pierre Hupkens et Maggy Yerna, ont présenté, selon l’expression qu’ils ont choisie, la « PEP’s », ou Prospective Espaces Publics. Il s’agit de l’affirmation d’une forte ambition pour la création et de rénovation d’espaces verts sur le territoire communal liégeois. L’objectif affiché est en effet de permettre à chaque habitant de rejoindre un coin de verdure en moins de 10 minutes à pied. La situation actuelle est, de fait, préoccupante à Liège où, selon l’étude de la Ville, plus de 70 % de la population ne rencontrerait pas ces conditions, mettant la Ville en porte-à-faux avec les recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé, qui préconise un minimum de 9 à 10 m² d’espace vert accessible par habitant.
Cette annonce du Collège communal liégeois est donc réjouissante. Le contenu de l’étude nous semble en outre cohérent, pour l’essentiel, avec les enjeux qui ont été soulevés, ces dernières années, dans le débat urbain. L’omniprésence de la voiture est ainsi dénoncée. Des pistes de solution seront recherchées |1|. Des connexions transversales, « de coteau à coteau », seront établies qui pourront lier sans rupture les espaces verts existants et à créer |2|. Globalement, l’entreprise est même envisagée de façon transversale, impliquant les services de mobilité, de l’environnement, des travaux, du logement et de l’urbanisme. Qui plus est, des objectifs clairs (un accès piéton en 10 minutes et un réseau pédestre continu), des projets clés (Boulevard de la Constitution et de l’Automobile, Place du Congrès, Place Cathédrale, accès à la Chartreuse, ...) et des moyens concrets pour mener à bien ces objectifs sont identifiés (en faisant appel à des fonds publics comme à des fonds privés).
Le projet PEP’s est donc bienvenu. Il offre des réponses intéressantes à la nécessité d’un développement d’espaces publics de qualité à Liège. L’asbl urbAgora ne peut que se réjouir d’une telle évolution et est disponible pour participer à l’approfondissement de la réflexion. En particuliers, notre récente publication La ville en Herbe – propositions pour un maillage vert de l’agglomération liégeoise |3| nous semble un complément utile à la « PEP’s ».
2. De la nécessité d’une cohérence dans les projets urbains liégeois
L’ambition étant posée, il va s’agir à présent pour la Ville de la crédibiliser en la traduisant dans les projets en cours, en la défendant dans les débats urbanistiques qui arrivent. Dans cette optique, trois dossiers, actuellement sur la table, nous semblent constituer autant de tests quant au sérieux des intentions affichées.
Ces dossiers concernent les quartiers que l’étude « PEP’s » identifie comme prioritaires : Outremeuse, le Longdoz et l’hypercentre. Ils figurent tous trois parmi les dernières possibilités de créer (ou de conserver) des espaces verts de qualité dans lesdits quartiers.
L’asbl urbAgora attend donc un engagement clair de la Ville sur ces dossiers — et le cas échéant un changement de cap par rapport aux intentions affichées jusqu’à présent dans ces dossiers.
2.1. Bavière : la possibilité d’un grand parc au bord de l’eau
En Outremeuse, de nombreuses actions restent à mener. La PEP’s souligne d’ailleurs bien les très importants manques en espaces verts de ce quartier. Des pistes y sont évoquées, mais d’autres restent à pointer. Nous pouvons faire référence ici à notre étude Outremeuse, île endormie ? (décembre 2013), qui avait identifié, en 2013, un certain nombre d’enjeux urbains de l’île, notamment en ce qui concerne son potentiel de végétalisation.
Le parc de la Boverie et sa rénovation en cours (après l’inauguration de la passerelle et du musée, de nouveaux itinéraires cyclables sont en projet) constituent de façon évidente un pôle central pour le maillage vert liégeois. De même, l’annonce, par la Ville, de son intention de verduriser la place du Congrès pour en faire un square de quartier — ce que proposons depuis 2013 — est à souligner. Le potentiel de cette place pour d’autres fonctions qu’un vaste giratoire à voitures est en effet énorme, et pour l’instant inexploité.
Pour autant, la partie nord du quartier est bien éloigné de ces commodités et nécessite d’autres aménagements. Enfin, la transformation du boulevard de la Constitution en une vaste « rambla » peut être vue comme une bonne nouvelle pour le quartier et pour le maillage vert liégeois, pour autant que la végétalisation de ce parcours soit effective.L’amorce planifiée à l’extrémité est du boulevard ne témoigne, en tous cas, pas (encore ?) de l’ambition affichée par la PEP’s.
Un chantier de plus grande ampleur est cependant à relever sur l’île qui a fait l’actualité des derniers mois. Il s’agit du projet d’urbanisation de la friche de Bavière. En l’état, seuls quelques dizaines de mètres carrés de pelouse arborée y sont aujourd’hui prévus, lesquels s’annoncent déjà grignotés de part et d’autre par les voiries, trottoirs et autres parkings souterrains. Le permis d’urbanisme n’étant pas encore attribué, nous espérons que ces nouvelles exigences dont se dote la Ville en matière d’espaces verts contribuent à réorienter le projet actuel de façon cohérente. Il s’agit là, après tout, de la plus grande friche encore présente dans le centre-ville liégeois. Demander à consacrer ne serait-ce qu’un tiers de ce terrain de 4 ha à la création d’un véritable parc urbain de qualité apparaitrait comme un signal fort dans cette direction, qui profiterait à toutes et à tous, et qui s’allierait idéalement avec la nouvelle bibliothèque des Chiroux et les différentes fonctions prévues dans le projet. Après l’occasion manquée que constituent les nouveaux aménagements de la place de l’Yser, il apparait en effet nécessaire pour les habitants d’Outremeuse de retrouver un espace vert d’envergure dans leur quartier.
2.2. Palmolive-Colgate : doter enfin le Longdoz d’un parc
Le Longdoz est, de façon tout à fait judicieuse, identifié comme l’un des quartiers les plus déficitaires en matière d’accès aux espaces verts, situation très paradoxale étant donné la proximité du parc des Oblats. La création d’une passerelle visant à établir un lien cyclo-pédestre plus direct apparait bien comme un premier pas important pour pallier ce manque |4|. Pour autant, comme nous l’avons signalé dans notre étude sur le quartier |5|, d’autres opportunités existent, qui profiteraient au développement cohérent d’un maillage vert de l’agglomération liégeoise.
En terme d’espaces verts de proximité, la friche Colgate-Palmolive (entre les rues Lairesse, Waleffe, Fisen et des Champs) peut se voir comme une des occasions incontournables d’une transformation verte du quartier. En lien avec un réaménagement de la place Baugnet voisine, celle-ci représente effectivement une opportunité importante de constituer un parc de proximité de 0,5 ha, lequel pourrait profiter directement à la moitié nord du quartier, la plus densément peuplée.
Il est en effet important de distinguer les grands espaces verts, qui permettent le développement de programmes importants de gestion de la biodiversité tout en constituant une pause de longue durée dans la vie et l’atmosphère de la ville, des plus petits espaces verts se prêtant mieux à la socialisation ponctuelle mais récurrente des riverains, la rencontre et les jeux. Si relier le quartier au parc des Oblats apparait bien essentiel, il ne faut donc pas pour autant négliger la nécessité de créer ces lieux de proximité, qui se prêtent à d’autres usages. La friche Colgate-Palmolive se présente, à ce titre, comme un site idéal, qui n’a pourtant vu jusqu’alors aucune intervention de la part de la Ville en ce sens. Au vu des exigences et objectifs fixés par la PEP’s, une telle situation ne peut perdurer, au risque de rater cette belle opportunité.
2.3. Les Prémontrés : rétablir un square urbain dans l’hypercentre
Parmi ces quartiers où une intervention verte est cruciale, le centre historique n’est pas en reste. En effet, malgré plusieurs interventions de poids à travers les dernières décennies, et encore très récemment, (place Saint Lambert, place Cathédrale, place Xavier Neujean, piétonnisation progressive, ...), l’ensemble de ce qui fait le coeur de Liège reste désespérément minéral. La seule véritable échappatoire semble persister à être les coteaux qui, si ils correspondent bien à un usage de grands espaces verts, tel qu’identifié précédemment, ne peuvent répondre aux besoins plus locaux de socialisation quotidienne, de rencontres ou de jeux d’enfants.
Là encore, plusieurs opportunités se dressent, dont certaines à saisir rapidement.
En particulier, le réaménagement prochain de la place des Carmes amène à s’interroger sur le site voisin des Prémontrés : hier un square entourant la piscine de l’évêché, aujourd’hui une friche inaccessible. Sa situation idéale, à l’entrée du centre historique et à proximité de la Meuse poussent à rejeter le scénario d’urbanisation dense qui s’y profile pour y établir un espace à nouveau public.
Une réaffectation de l’ancienne piscine de l’évêché pourrait ainsi être mise en valeur par la création d’un square qui lierait la place des Carmes au fleuve, et aux nouveaux aménagements des quais, tout en proposant une nouvelle halte verte à proximité de l’hypercentre, d’Outremeuse, de l’Université et de nombreux immeubles d’habitation plus ou moins hauts peuplant les quais.
Cette opportunité de toucher un très large public, donc, est aujourd’hui menacée par un projet de construction de tour d’appartements de luxe par le promoteur Thomas & Piron. Ce projet étant clairement a contrario des objectifs de la PEP’s, la vente de la part du Grand Séminaire n’ayant pas encore été actée, et plus de 2600 personnes ayant déjà signalé leur refus du projet |6|, il nous apparait nécessaire que la Ville y intervienne pour assurer un avenir vert à ce site de grande qualité.
3. Conclusion
En somme, Liège peut-être conçue comme une ville verte, ou en tous cas plus verte que nombre d’autres agglomérations européennes, grâce à la présence de grands espaces arborés sur son territoire. De nombreux chantiers restent cependant à mettre en place pour créer un véritable maillage vert liégeois qui garantirait à chaque habitant de trouver un espace vert de proximité à moins de 10 minutes à pied de son domicile. La PEP’s semble prendre à coeur ces préoccupations et a déjà pu identifier certains déficits essentiels et quelques espaces d’interventions potentiels. Pour autant, comme nous l’avons présenté ici, il apparait nécessaire d’agir rapidement pour sauver certaines opportunités stratégiques qui sont menacées à court ou à moyen terme. Si Outremeuse, le Longdoz et le centre historique sont considérés comme des espaces d’interventions prioritaires, Bavière, Palmolive-Colgate et les Prémontrés doivent être conçus comme des occasions inestimables dont la Ville doit se saisir pour développer sa Prospective Espaces Publics. Aucune des situations actuelles concernant ces sites n’est irrémédiable, et aucun des projets les concernant n’a encore été acté. Dès lors, nous espérons que la PEP’s participe à la production de projets plus soucieux des besoins en espaces verts de leurs riverains pour ces lieux.
Nous ne pouvons donc que nous réjouir de la mise en place de ce programme. Par ailleurs, nous voulons d’ors et déjà, par ce papier mais surtout par de futures collaborations, participer à l’approfondissement nécessaire de celui-ci. Les différentes études que nous avons pu mener par le passé, et en particuliers notre dernière publication interrogeant les possibilités d’un maillage vert de l’agglomération liégeoise, La ville en herbe, nous dotent en effet de ressources pour amener des éléments de réflexion encore absents ou trop peu présents dans l’actuelle PEP’s. Au vu des ambitions affichées de nos échevins envers ce programme, nous ne doutons pas que ces propositions soient accueillies de façon constructive et bienveillante, et sommes impatients de mettre la main à l’ouvrage de façon à formuler ensemble une végétalisation cohérente et de qualité de la ville de Liège.