Plusieurs communes de l’agglomération liégeoise (Liège, Ans, Chaudfontaine, Herstal et Seraing) s’apprêtent à lancer un appel d’offre en vue de mettre en place un système de « vélos partagés », sur le modèle de Paris (Vélib’) et de très nombreuses grandes villes, désormais.
Indépendamment du débat sur les conditions nécessaires — notamment en matière d’aménagements urbains — à ce que cette opération soit un succès, conditions qui ne sont pas du tout réunies à ce jour, il semble également utile de se poser dès à présent la question du mode de gestion du système. La plupart des exemples existant en Europe ont vu le triomphe de la gestion privée des systèmes de vélos partagés : les grandes multinationales du secteur de la publicité que sont (surtout) JC Decaux et (dans une moindre mesure) Clearchannel trustent ce marché.
Malgré la complexité des systèmes techniques mobilisés, une gestion locale et publique est pourtant techniquement possible, comme le démontre l’exemple de Montréal où le système « BIXI », qui vient d’être inauguré au printemps (avec, d’ores et déjà, un succès considérable |1|), a été intégralement développé par la société publique « Stationnement de Montréal ».
Les arguments en faveur d’une gestion publique sont de taille :
— Les inconnues relatives à la gestion de ce système étant nombreuses (quelle sera la fréquentation ? quelle sera le coût réel du système ?), il semble peu probable que les pouvoirs publics soient en position de négocier un contrat favorable aux intérêts de la collectivité. À l’inverse, une gestion publique permettra une souplesse et une adaptation progressive du système aux besoins de ses utilisateurs, sans avoir à multiplier les (coûteux) avenants au contrat.
— Une gestion publique permet de ne pas se mettre en situation de dépendance technologique : actuellement, les vélos proposés par les principales sociétés présentes sur le marché font l’objet de multiples brevets et les différents systèmes ne sont pas compatibles entre eux. En conséquence, il est impossible pour les pouvoirs publics de changer de prestataire sans remplacer complètement le parc de vélos (comme cela s’est passé récemment à Bruxelles), ce qui est inutilement coûteux et impopulaire. Une alternative à cette situation pourrait être la mise en place d’une association de villes qui ferait développer son propre système de vélos, garantie d’une indépendance technologique.
— Une gestion publique pourra donner des garanties en matière de protection de la vie privée plus importantes que le secteur privé. Dans la mesure où les sociétés publicitaires cherchent à mettre au point des systèmes permettant d’adapter les panneaux publicitaires en fonction des gens qui se trouvent à proximité |2|, les systèmes de vélos partagés sont potentiellement très sensibles sur ce plan, puisqu’ils permettent, via une électronique embarquée souvent très (trop) développée, de réunir des données très précises sur les habitudes des utilisateurs du système.
— Une gestion publique facilitera la recherche de complémentarités avec les transports en commun et son intégration dans la politique urbaine. À cet égard, le TEC ou une régie autonome pourraient être chargés de la gestion du système. Il pourrait également être possible de le confier à la gestion d’une association, sur le modèle de ce qui s’est longtemps pratiqué à Toulouse avec le système « Movimiento ».
— Une gestion publique permettra d’éviter que le progrès écologique se fasse au prix d’une régression sociale. On sait en effet que la société JC Decaux fait fabriquer en sous-traitance ses vélos à Toszeg, en Hongrie pour un salaire de 2 EUR de l’heure |3| (moins de la moitié du salaire moyen hongrois) et les employés parisiens du « Vélib’ » dénoncent régulièrement les conditions de travail et le niveau de rémunération |4|.
En conséquence, l’asbl urbAgora demande aux responsables publics d’étudier sérieusement cette option. La gestion publique de l’éventuel système de vélos partagés peut, selon nous, créer plus de richesse collective qu’un service privé, par la qualité de l’emploi qu’elle permet, par l’adaptation plus fine aux besoins de la population qu’elle autorise, par l’absence d’exigence de rentabilité à court terme.