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Pourquoi et comment il faut lancer dès à présent la construction de la deuxième ligne du tram liégeois, entre Ans et Chênée

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Introduction

L’enjeu d’un axe de transport public structurant transversal au fond de vallée est présent depuis longtemps dans les débats sur la mobilité liégeoise. L’étude Sémaly-Transitec (2001) envisageait déjà un axe de tram entre Ans et Fléron.

Le Plan urbain de mobilité (PUM) en a repris le principe, mais en réorientant cet axe vers Chênée/Vaux-sous-Chèvremont plutôt que vers Fléron, en raison de la densité de population observée, mais aussi du potentiel de développement urbain le long du « Boulevard de l’automobile » et au-delà (gare d’Angleur, LBP, etc).

Figure 1 : « Schéma d’axe » tel que proposé par l’étude Transurbaine (2011)

Suite à cela, la Ville de Liège et le GRE ont commandé (CREAT & alii) une étude spécifique sur ce second axe (2011), qui a reçu son nom de « Transurbaine » à cette occasion. Cette étude démontre de façon convaincante le potentiel de mobilité mais aussi de structuration du territoire urbain de cette deuxième ligne, en particulier dans le territoire baptisé « croissant d’or » par le PUM, à savoir la vaste zone voisinant l’autoroute A602, entre les Guillemins et l’aéroport. Elle projette la création d’un axe principal entre la gare d’Ans et celle de Chênée (voire au-delà), en le complétant par trois extensions, respectivement vers Bressoux (via Bavière), vers Angleur (par un nouveau pont à créer sur l’Ourthe en aval de celui des Grosses-Battes) et vers les Guillemins (barreau Sud entre la place Georges-Ista et la place Leman, amorçant un maillage du réseau et ouvrant diverses possibilités de jonctions entre la vallée de la Meuse et celle de l’Ourthe).

Cette étude de 2011 se signale aussi par une réflexion urbanistique beaucoup plus poussée que ce qui a été fait pour la ligne 1, en cherchant à recréer des polarités de service autour des stations, en amenant la notion de « contrat d’axe » pour travailler l’accessibilité des stations depuis les quartiers situés aux alentours.

Depuis lors, de nombreux projets urbains ont fleuri, notamment autour du nouvel hôpital du MontLegia (début du chantier en 2014, inauguration 2020).

La Région, après avoir refusé de prendre en considération l’étude Transurbaine, a finalement intégré l’axe parmi les quatre lignes de « BHNS » qui sont envisagées, mais refuse à ce stade de planifier la tramification de la Transurbaine.

1. Un axe déjà saturé

Le choix d’un mode de transport public dépend principalement de la demande de mobilité sur cet axe. Même si la réalisation d’une ligne de tramway soulève de nombreux enjeux et entraîne des effets considérables sur l’espace public ou l’immobilier, c’est fondamentalement le nombre d’usagers potentiels qui justifie le recours à cette technologie lourde, dont la fonction principale est d’apporter de la capacité sur les axes saturés.

Or cet axe transversal est aujourd’hui arrivé à saturation, en dépit d’un service très dégradé et quoi qu’en dise le TEC. Et cette situation est d’autant plus préoccupante que la topographie liégeoise produit un « effet goulot » au niveau de la place Saint-Lambert, seul passage praticable entre le Pont de Bayards et la rue Wazon dans la barrière formée par le coteau : si un réseau plus maillé est indispensable (cf. infra), l’enjeu de capacité entre Saint-Lambert et Fontainebleau reste critique dans tous les scénarios.

Plus que les données de fréquentation (basées sur la validation, très incertaine, des titres de transport et de toute façon non publiques), c’est l’observation concrète qui le montre : bus qui ne s’arrêtent plus à certains arrêts à l’heure de pointe (malgré des fréquences déjà très importantes, par exemple sur la ligne 12), gares des bus du centre-ville surchargées au point de devenir dangereuses, usagers qui remontent certaines lignes à la pointe du matin pour repartir en sens inverse là ils peuvent monter dans le bus, très nombreux usagers qui ont renoncé à se déplacer en bus en raison de l’inconfort et du manque de fiabilité du service pour préférer d’autres modes de déplacement, etc.

Cette tension ne peut en outre que devenir plus aiguë dans les prochaines années :

  • La précarité énergétique touche actuellement la population de plein fouet et — dans le contexte de prix de l’énergie qui resteront vraisemblablement élevés, voire augmenteront encore — va amener de plus en plus de personnes à chercher des alternatives à la mobilité automobile et à se tourner vers elles,... si elles les trouvent.
  • De nombreux développements urbanistiques sont annoncés le long de l’axe de la Transurbaine (Master plan de Sainte-Marguerite, ancien charbonnage de l’Espérance, transformation de la clinique de l’Espérance, nouveaux quartiers sur Patience & Beaujonc, etc) amenant la localisation de plusieurs milliers de nouveaux logements et, probablement, de plusieurs milliers d’emplois — annonçant donc des besoins de mobilité en croissance sensible.
  • Le gouvernement wallon, au travers de sa stratégie « FAST », souhaite voir multipliée par 2,5 la part modale du transport public local (et ajoute même que les grandes agglomérations devront aller au-delà de ce chiffre). On ne voit pas comment un tel objectif, modéré au regard des références étrangères et des enjeux climatiques, mais remarquablement ambitieux au vu de l’état des infrastructures et du niveau de compétence du groupe TEC, pourrait être sérieusement envisagé sur cet axe sans un changement de mode.

Sur ce dernier point — mais aussi de façon générale, soulignons que la question de l’attractivité (et donc des standards de confort) se pose : si le TEC a l’habitude, en zone urbaine, de considérer ses usagers comme captifs et donc de n’accorder qu’une attention minimale à leurs conditions d’accueil et de déplacement, un objectif ambitieux de transfert modal demandera un effort significatif sur ce terrain : ce n’est pas avec un réseau peu lisible, peu fiable, surchargé, peu accueillant de façon générale,... que l’on va convaincre de nombreux usagers de faire le choix du transport public. Le tram, là encore, peut apporter une amélioration considérable, au bénéfice des usagers mais aussi de la dynamique urbaine dans son ensemble.

Le BHNS — a fortiori dans la version « low cost » que prépare le gouvernement wallon — est une réponse très insuffisante face à ces enjeux.

2. Un enjeu d’inclusion sociale et symbolique

À l’exception de l’hyper-centre (où assez peu de personnes sont domiciliées), du quartier Saint- Léonard (où la situation évolue positivement) et de Sclessin, on observe une différence nette, au niveau des indicateurs socio-économiques, entre les quartiers desservis par la Transurbaine (la proche rive droite, Sainte-Marguerite, Burenville, Saint-Nicolas) et ceux desservis par la ligne 1. Il est vraisemblable (on le voit déjà on observant la localisation et la nature des grands projets immobiliers en cours) que ce différentiel va s’accentuer s’il n’est pas pris en charge, alimentant le sentiment — déjà présent dans des quartiers comme le Longdoz, Amercoeur, la Bonne-Femme,... — d’une relégation par rapport à une rive gauche concernant les investissements publics.

Amener le tram en rive droite et à Sainte-Marguerite et Burenville — et le faire en optant pour des tracés qui incluent les quartiers plutôt que de les contourner |1| — constitue une réponse substantielle, une des plus fortes qui soient possibles, sans doute — à cet enjeu.

Figure 2 : Revenu médian par déclaration fiscale en pourcentage de la moyenne régionale (source : Ville de Liège)

3. Un levier d’urbanisme

Enfin, et ce n’est pas peu de chose, le choix du tram sur l’axe 2 peut s’avérer un levier déterminant au service des grandes opérations urbaines entamées (Saint-Marguerite) ou à venir (Bld de l’Automobile, comme esquissé dans les travaux préparatoires du Schéma de développement communal) et, plus largement, d’un développement urbanistique cohérent et ambitieux de très vastes zones urbaines dont la transformation est annoncée (Gare d’Ans, Bonne-Fortune, Bolliden, gare d’Angleur, LBP, etc) :

  • en permettant une réelle requalification des espaces publics sur les deux dernières autoroutes urbaines liégeoises (Cadran-Burenville et Bld-de-l’Automobile/Quai-des-Ardennes/Bld-de- l’Ourthe), au bénéfice de la qualité de vie de leurs nombreux riverains, au bénéfice de la circulation des modes doux — un objectif qui paraît difficile à atteindre sans ce levier ;
  • en amenant à la planification (et donc à une densification qualitative et cohérente) de terrains à enjeux qui, sans cela, risquent de s’urbaniser par mitage, comme c’est déjà marginalement le cas ;
  • en attirant des projets ambitieux le long de la ligne et en y favorisant d’autres choix de mobilité que le tout à la voiture. Les promoteurs, publics ou privés, ont intérêt à construire le long d’un axe de tram et il sera possible, si la ligne 2 fait l’objet d’un ferme engagement public, de négocier avec eux des projets orientés vers d’autres mobilités. À l’inverse, si l’on traine encore pendant 10 ans, beaucoup de ces projets se seront construits, d’une manière plus médiocre (faible densité, nappes de stationnement automobile, etc) qu’il sera difficile de rattraper ensuite. Notons aussi que faire de la Transurbaine un axe de développement urbain permettra d’apporter des réponses sur la question du logement tout en soulageant la pression foncière sur les espaces verts, qui suscite actuellement d’importantes tensions.

La réalisation d’un axe transversal de tram est également une condition à la réorganisation d’ensemble des circulations au centre-ville, dans la perspective d’y faire cesser le transit automobile, ce qui permettrait notamment de consacrer l’axe Saint-Lambert/Place-de-l’Yser (rue Léopold, Pont des Arches, Saint-Pholien) aux transports publics et aux modes doux.

4. La nécessité d’une vision d’ensemble — l’enjeu de l’intermodalité

Si la deuxième ligne de tram est indispensable en tant que telle, elle doit aussi être le fer de lance d’une vision d’ensemble du transport public dans l’agglomération, mettant l’accent sur le maillage du territoire (versus les logiques de rabattement sur la ligne 1 et l’hyper-monocentralité qui fondent la doctrine actuelle) et sur l’intermodalité entre modes de transports et en particulier avec le rail, qui reste le parent pauvre de la plupart des projets. Il est dès lors essentiel de penser, parallèlement à cette ligne 2 en tram, une réorganisation du réseau de bus apportant des connexions de périphérie à périphérie (par exemple une ligne de rocade nord, reliant la gare d’Ans à Herstal via Rocourt et Vottem, connectée sur le téléphérique à Vottem) et, surtout de veiller à la connexion entre le rail et le tram, ce qui implique notamment, sur le tracé de la Transurbaine :

  • d’envisager un Master plan de la gare d’Ans pour ouvrir celle-ci au Sud (nouveau quartier à construire), rouvrir la L31 (actuellement ravelisée) voire permettre, à terme, le franchissement du faisceau ferroviaire par le tram ;
  • de planifier l’ouverture de points d’arrêts dans le quartier des Vennes (entre la place des Nations Unies et le Bld de Laveleye, avec réorganisation du trafic bus en conséquence) et à la Bonne Femme (entre la rue Grétry et l’îlot situé derrière la rue Bernimolin, au-dessus du Bld Frankignoul, avec des accès côté Grétry et côté Frankignoul) ;
  • d’intégrer la gare de Chênée au Master plan du site « LBP » de façon à revoir ses accès (aujourd’hui particulièrement peu accueillants), à créer une véritable place de gare, tout en soignant l’implantation du tram à proximité de celle-ci ;

5. Le BHNS peut-il être jouer le rôle de « pré-tram » ?

Face à ces arguments, certains considèrent que le BHNS pourrait jouer un rôle de « pré-tram », en annonçant la tramification de l’axe quelques années après les travaux du BHNS. Cette option se heurte aux problèmes suivants :

  • s’il est question d’adapter dès à présent le tracé du BHNS aux contraintes techniques du tram (rayon de giration, pente, longueur des arrêts, déplacement des impétrants, etc), le budget s’approchera de celui d’un tram, ce qui rend douteuse la pertinence du passage intermédiaire par le BHNS.
  • dans tous les cas, imposer aux habitants et usagers deux phases successives est très pénalisant et soulèvera inévitablement de fortes résistances.
  • le BHNS n’offre par suffisamment de capacité pour répondre aux besoins de mobilité présents sur cet axe.

6. Budget et calendrier

L’investissement nécessaire à la réalisation de l’ensemble de l’axe et de ses trois extensions dépassera les 500 millions d’euros.

Ceci appelle les remarques suivantes :

  • Des effets-retours importants sont à attendre, directement mesurables (augmentation des recettes de billetterie, diminution du coût km/passager, retours fiscaux du développement urbain,...) et moins directement mesurables (qualité de vie, santé, etc) ;
  • L’amortissement du projet représente environ 1 % des sommes annuellement investies par les Liégeoises et les Liégeois (arrondissement) dans la mobilité automobile. Il ne semble pas irréaliste de capter un tel montant via un mécanisme s’apparentant au « versement transport » français (de façon explicite ou non).
  • Il est possible de phaser le projet, par exemple en commençant par le tronçon central (MontLegia - Gare d’Angleur : 8,8 km) qui est le plus urgent au niveau de la saturation et permet déjà d’obtenir une grande partie des effets structurants recherchés sur le plan social et urbanistique.

L’échéance-clé est celle de la formation du prochain gouvernement régional, à l’été 2024, lors de laquelle il faudrait obtenir des engagements budgétaires fermes.

Il est cependant envisageable — et souhaitable — de lancer les études techniques plus rapidement, afin de disposer d’un dossier consistant — et en particulier : chiffre — lors de cette négociation — ce qui permettrait d’envisager le bouclage du chantier avant les échéances électorales de 2029-2030.

|1| Par exemple : a) en entrant dans Outremeuse et en y plaçant plusieurs arrêts de tram (Yser, Bavière, Delcour) plutôt qu’en évinçant le quartier comme cela a été fait avec le passage par le Pont Atlas et comme le BHNS s’apprête à le refaire en passant par le Pont Kennedy pour rejoindre le Longdoz ; b) en entrant dans Bressoux (via Bonnes-Villes et Charles-de-Gaulle) plutôt qu’en passant par le pont biais ; c) en prolongeant de quelques centaines de mètres l’extension allant vers la gare d’Angleur jusqu’à la place de l’école moderne.

Cette publication est éditée grâce au soutien du ministère de la culture, secteur de l'Education permanente

 

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