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Tram de Liège : il faut organiser un concours d’architecture...

vendredi 22 octobre 2010,

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Le tram de Bor­deaux, 2007. Lauréats du concours d’architecture : Brochet, Lajus, Puyeo (architectes) / Signes (pay­sa­gistes) / Eli­zabeth de Port­zamparc (designer). Source photo : http://www​.signes​-pay​sages...

Au moment où le planning de réalisation du tram est dévoilé dans la presse par le ministre wallon de la mobilité et de l’aménagement du territoire, Philippe Henry, et indépendamment d’autres questions concernant le tram, dont celle de son tracé définitif, qui feront l’objet de communications ultérieures de la part d’urbAgora, il est aujourd’hui indispensable de se saisir d’un enjeu dont peu de monde s’est, tant qu’à présent, préoccupé : la dimension « structurante » du tram sur le plan urbanistique, paysager et architectural, c’est-à-dire la possibilité qu’offre la réalisation du tram de repenser les espaces publics (au sens large du terme) concernés par le projet.

On n’ose imaginer le résultat catastrophique si chacune des communes traversées par le tram choisissait les aménagements relevant de sa compétence de manière non concertée — ou si la SRWT s’en tenait à une simple opération de rénovation technique des voiries (poser des rails, sans repenser l’espace public dans sa globalité). De telles inquiétudes pourraient paraître exagérées. Le risque semble pourtant réel : nulle part, dans les discours publics, ne transparait à ce jour une prise de conscience des nécessaires processus à amorcer pour relever ce défi |1|.

La station Limmatplatz du tram de Zürich. Lauréats du concours d’architecture (2004) : Baumann-Roserens (architectes). Source photo : http://www.brarch.ch

Soyons-en pourtant sûrs : quand les travaux seront réalisés, ce que tout le monde retiendra en dehors des gains de mobilité apportés par le tram (meilleure capacité par rapport au bus, cadence, rapidité, etc.), c’est qu’il aura (ou pas) « changé la ville », qu’il aura (on l’espère) réussi à améliorer le cadre de vie de la collectivité, celui des usagers du transport public et par extension celui des usagers de la ville au sens large. Pour s’en convaincre, pas besoin d’aller très loin : le succès des opérations de réintroduction du tram dans les villes européennes — et le cas de la France est exemplaire — ont notamment acquis leur notoriété grâce la qualité des aménagements réalisés. Les agglomérations de Bordeaux, Nice, Strasbourg, parmi d’autres, y sont parvenues grâce à des concours d’architecture. En mars 2009, c’était au tour de la ville de Luxembourg de présenter ses résultats |2|.

Il est donc aujourd’hui temps de se poser quelques questions relatives l’organisation d’un concours d’architecture, afin de permettre le retour du tram à Liège dans les meilleures conditions. C’est aussi l’occasion de tordre le cou à quelques idées préconçues.

En quoi un concours d’architecture concerne-t-il le retour du tram à Liège ?

On ne le souligne pas assez : le tram — et par extension, le second niveau du réseau : BHNS ou trolley |3|,... — est bien plus qu’un projet de mobilité. De par les importants travaux qu’il nécessite en voirie, de par le rééquilibrage entre modes de transport qu’il permet d’induire (principalement vis-à-vis de la voiture individuelle, mais aussi au bénéfice des modes doux), de par les infrastructures dont il a besoin (stations, dépôts, centres de maintenance, parkings relais), il est l’occasion de repenser l’espace public dans sa globalité. Et en regard de l’expérience développée à l’étranger, le concours d’architecture est le meilleur moyen d’obtenir un résultat qui améliorera durablement le cadre de vie de tous, usagers du tram comme ceux de la ville au sens large.

La station Rotonda de Sergio Cardell du tram d’Alicante, 2007. Lauréats du concours d’architecture : SUBARQUITECTURA - Andrés Silanes, Fernando Valderrama, Carlos Bañon (architectes). Source photo : http://www.archdaily.com/1809/tram-stop-in-alicante-subarquitectura/

Qu’est-ce qu’un concours d’architecture ?

La locution « concours d’architecture » telle qu’employée ici, est un terme générique recouvrant différents modes de passation de marchés publics |4|, qui présentent l’intérêt de cibler la qualité d’un projet d’aménagement là où d’autres types de processus relègueraient cette préoccupation au second plan (en accordant par exemple la priorité à des arguments technico-juridiques). En bref, dans le cas du retour du tram à Liège, il s’agit de privilégier une logique de projet urbain : « quel est le bon projet d’aménagement du tram pour Liège ? »

De manière générale, le concours d’architecture vise à obtenir une architecture de qualité, c’est-à-dire une architecture qui répond le mieux aux enjeux (réponse au programme, créativité, coûts, planning, etc.) et qui permettra au final, d’améliorer le cadre de vie de la collectivité |5|. Le concours d’architecture nécessite une vision de ceux qui le mettent en œuvre (un programme clair, une ambition, etc.) et une attention constante dans sa préparation, son organisation et son suivi |6|.

Le tram de Reims sur le cours Langlet (projet 2006, livraison 2011). Lauréats du concours d’architecture : Richez_Associés (architectes), Atelier Villes et Paysages (paysagistes). Source photo : http://www.dubus-richez.com

Y-a-t-il des exemples récents de concours d’architecture à Liège ?

Oui. Le Cinéma Sauvenière (architectes V+, inauguré en 2008, Prix du public et Grand prix de l’Urbanisme de la Ville de Liège 2009), la rénovation future du MAD musée dans le Parc d’Avroy (architectes Beguin-Massart) et la transformation du MAMAC en CIAC (architectes Rudy Ricciotti et PhD, ouverture prévue en 2014). Un projet plus ancien, avec une procédure quelque peu différente mais similaire dans ses intentions (appel à idées), est celui de l’esplanade Saint-Léonard (architectes Baumans-Beguin/Massart-Rondia, 2004, Grand Prix de l’Urbanisme européen en 2007).

Sur quoi porterait le concours d’architecture dans le cadre du dossier Tram ?

Sur l’aménagement des espaces publics traversés par le tram et le BHNS/trolley (rues, places, boulevards, quais, ponts, etc.) mais aussi le futur dépôt et centre de maintenance du matériel, les parkings-relais. Sans oublier les stations de tram et du BHNS/trolley. De manière à proposer une vision cohérente et ambitieuse de l’ensemble des aménagements.

À qui serait adressé le concours d’architecture ?

Aux architectes, bien sûr, car ce sont eux qui conçoivent les espaces publics (et les bâtiments concernés par la future exploitation du tram). Mais au vu de l’étendue du territoire traversé et des enjeux d’aménagement du territoire de l’agglomération liégeoise, il conviendrait d’y associer des paysagistes et designers (pour la conception des stations et du mobilier urbain accompagnant le tram), voire même des plasticiens (comme à Nice, où 13 œuvres ponctuent de manière permanente les 8,7 km de tracé) |7|. Une équipe pluridisciplinaire d’auteurs de projet, associant architectes, paysagistes et designers est donc sans conteste la meilleure façon possible d’intégrer durablement le tram dans la ville. Et y associer un programme d’intervention d’art public générerait indéniablement une dynamique culturelle opportune ; les compétences en la matière ne manquent pas à Liège (avec des partenaires comme le Musée en plein du Sart-Tilman, la Cellule d’art public de la Ville de Liège, etc.).

Le tram de Nice, 2007. Lauréats du concours d’architecture : C. Vezzoni, A. Jolivet, M. Dalibard (architectes) / Jaume Plensa (plasticien, choisi pour la place Massena)

Organiser un concours d’architecture va-t-il couter plus cher ?

Non, et c’est une idée reçue à laquelle il faut impérativement tordre le cou. De quelque manière que ce soit, le passage du tram nécessitera d’importants travaux en voirie et d’équipement (dépôt, centre de maintenance, parkings relais, etc.) et la désignation d’une équipe d’auteurs de projet pour les concevoir. Ici, c’est la manière de choisir ces auteurs de projet qui est essentielle, et le concours d’architecture (tel que défini plus haut) offre la réponse la plus adéquate pour tendre vers un projet de qualité. Et, bien entendu, plus le projet d’aménagement choisi sera cohérent dans sa globalité, et accepté par tous les partenaires politiques et publics — ce que permet un concours d’architecture en forgeant une vision commune et partagée — au plus il sera durable (inscrit dans la durée), et donc moins couteux pour la collectivité.

Organiser un concours d’architecture ne va-t-il pas retarder le planning de réalisation du tram ?

Non. À condition évidemment que ce volet architectural et paysager soit saisi dès à présent dans tout l’enjeu qu’il constitue par les porteurs politiques et publics du projet. Au contraire, par le consensus fédérateur que le concours génère autour du projet, il permettrait de gagner un temps précieux trop souvent perdu en discussions politiques et recours d’habitants.

Alors qu’on ne connaît pas le tracé définitif du tram, organiser un concours d’architecture n’est-il pas prématuré ?

Non. Au contraire, plus tôt sera désignée l’équipe d’auteurs de projet, meilleure sera la concertation, car elle permettra aux auteurs de projet de formaliser (entre autres) les souhaits des habitants.

Le tram-train de Mulhouse, 2006. Lauréats du concours d’architecture : Gautier + Conquet (architectes et paysagistes), en association avec l’Atelier du Paysage-Alsace (paysagistes). Source photo : http://www.gautierconquet.fr/

Quand interviendrait le concours d’architecture ?

Le plus en amont possible du projet. Il faut intégrer cette donnée dans le planning dès à présent. Plus tôt les auteurs de projets (architectes, paysagistes, designers) seront désignés, plus tôt ils pourront se mettre à la tâche et formaliser la vision de ce que sera le passage du tram à Liège demain. Ensuite, la phase opérationnelle sur le premier tronçon de tram pourra débuter (permis, travaux).

En quoi le BHNS/trolley est-il également concerné par le concours d’architecture ?

L’urbaniste et sociologue français François Ascher, lauréat du Grand prix de l’urbanisme 2009 en France, soulignait parfaitement l’enjeu des aménagements liés aux bus : « […] les sites propres sont des interventions lourdes sur l’espace public. Les tramways ont ainsi permis des renouvellements urbains profonds. Leur effet urbanistique a été au moins aussi important que leur effet transport. En revanche, les couloirs de bus sont souvent négligés du point de vue de l’aménagement. Ils méritent pourtant des efforts de qualité, car ils ne sont pas seulement des techniques de circulation. Malheureusement, toutes les villes ne portent pas nécessairement l’attention nécessaire pour ce type d’aménagement et continuent à faire des sites propres une question seulement de circulation et de voirie. » |8|

Quelles pourraient être les autres retombées d’un concours d’architecture sur le tram pour l’agglomération liégeoise ?

Le pôle multimodal du tram de Nice, 2007. Lauréat du concours d’architecture : Atelier Marc Barani (architectes). Source photo : http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/communiq/albanel/2008-12-02-barani_equerre-dargent.html

Rappelons que le premier objectif du concours d’architecture est d’améliorer significativement la qualité du cadre de vie des usagers de l’agglomération, en choisissant un projet d’avenir pour Liège. Mais à l’analyse de retombées observées dans les villes européennes qui ont utilisé le concours d’architecture pour les aménagements liés au retour du tram, le gain en notoriété pour ces villes, en dehors des frontières, est réel. Le renouveau de Bordeaux (235.000 habitants) s’est fait largement connaître grâce à la conjonction de deux politiques : l’implantation du tram en 2003, dont les aménagements sont réalisés à l’issue d’un concours par les architectes Brochet-Lajus-Puyeo, les paysagistes Signes et la designer Elizabeth de Portzamparc (mobilier urbain), et le réaménagement des quais de la Garonne au profit des piétons, alors autoroutes urbaines comme à Liège (paysagiste Michel Corajoud avec Claire Corajoud, Pierre Gangnet, Atelier R et Léa).

Tout récemment, le Centre de maintenance (entretien et remisage des rames) du tram de Nice (350.000 habitants), incluant parking-relais (765 places) et station terminus de la ligne, dont la conception a été confiée à l’architecte Marc Barani, a été récompensé du plus important prix français d’architecture en 2008, « L’Equerre d’argent », attirant largement l’attention à l’étranger |9|. Ce n’est pas un hasard, la dynamique urbaine liée au retour du tram (à condition qu’elle soit prise en compte avec toute l’attention qu’elle mérite) métamorphose, au sens propre comme au figuré, l’image d’une ville. N’oublions pas que le retour du tram à Liège, constituant une première en Belgique, sera observé avec attention. Pour conclure, il est évident qu’un projet réussi, au service de la collectivité, améliorant le cadre de vie, aura un impact sur l’attractivité de la ville autant auprès de potentiels futurs habitants que des investisseurs privés. Tel est aussi l’enjeu d’un concours d’architecture.

|1| Rien à ce sujet dans l’article, alors qu’il est plus que temps d’y songer, dans « Tram : la consultation commence » du Soir du 11 septembre 2010.

|3| Diverses hypothèses ont été avancées pour le second niveau du réseau de transport urbain. Actuellement, ce serait le « Bus à haut niveau de service » (BHNS) qui aurait les faveurs du pronostic. À nos yeux, ce débat n’est cependant pas encore abouti. Et l’hypothèse du trolleybus (un BHNS à propulsion électrique) doit être sérieusement examinée.

|4| Lire pour le détail des procédures de marchés publics et leurs avantages/inconvénients le Vade-mecum. Commande publique à Bruxelles. Comment choisir un auteur de projet ? Exemples et bonnes pratiques (ISACF La Cambre/Philippe Flamme, 2005).

|5| « Plus personne aujourd’hui n’oserait s’engager dans une définition de la qualité architecturale qui renverrait à un style ou dans des critères qui permettraient de la définir a priori. Tout au plus peut-on dire qu’elle résulte dans la capacité d’un projet à allier performances techniques (par exemple en termes de développement durable, de qualité énergétique, …), projet social (donner identité à un espace, s’ouvrir à des usages, répondre à des besoins…) et ambitions esthétiques. Ce qu’exige la réussite d’un tel souhait dépend de différentes variables, de l’échelle du projet, de sa nature, du contexte dans lequel il s’insère […] L’architecture et l’urbanisme sont pour les pouvoirs publics des moyens pour faire évoluer la ville, de lui redonner une identité, de la mettre en phase avec son temps. » Extrait du Vade-mecum. Commande publique à Bruxelles. Comment choisir un auteur de projet ? Exemples et bonnes pratiques, ISACF La Cambre/Philippe Flamme, 2005, p. A05. On recommande également la lecture à ce propos du Livre blanc de l’architecture contemporaine en Communauté française de Belgique, La Lettre Volée/ISACF La Cambre, Bruxelles, 2004, p. 20-28 (« Le droit pour tous à la qualité architecturale » et « qu’est-ce que la qualité architecturale ? »).

|6| Il s’agit de mettre en place les conditions de l’émergence d’une architecture de qualité (en favorisant des logiques qui sont autres que celles uniquement fondées sur celles du marché) : mise en place d’un jury avec experts architectes extérieurs, rémunération des candidats (tout travail mérite salaire), pas de mise en concurrence sur base capacitaire (par exemple sur base des honoraires des architectes) etc.

|7| 13 œuvres de 14 plasticiens : Ben, Michael Craig Martin, Gunda Förster, Yann Kersalé, Ange Leccia, Maurizio Nannucci, Jean-Michel Othoniel, Pascal Pinaud et Stéphane Magnin, Jaume Plensa, Michel Redolfi, Sarkis, Pierre di Sciullo, Emmanuel Saulnier, Jacques Vieille. Voir http://www.tramway-nice.org/pdf/doc_1186046268_00.pdf

|8| Ascher François, Les nouveaux compromis urbains. Lexique de la ville plurielle, Editions de l’Aube, 2008, page 124.

 

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