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Quelle participation citoyenne dans l’élaboration du Schéma de développement communal de Verviers ?

 

Le 27 novembre 2019, la Ville de Verviers présentait les résultats de la concertation menée dans le cadre de l’élaboration de son nouveau Schéma de développement communal. L’occasion pour nous d’y assister… et de pointer une série de questions quant à la « large concertation » annoncée par la Ville : comment a-t-elle été menée ? Qui a-t-elle réellement touché ? Est-elle représentative ?

Un Schéma de développement local (SDC)

Le Code du développement territorial (CoDT) indique que le Schéma de développement communal définit une stratégie territoriale sur l’ensemble de territoire communal en deux parties. La première, l’analyse contextuelle, comporte « les principaux enjeux territoriaux, les perspectives et les besoins en termes sociaux, économiques, énergétiques, patrimoniaux, environnementaux et de mobilité ainsi que les potentialités et les contraintes du territoire » |1|. La stratégie territoriale, quant à elle, définit : les objectifs communaux de développement territorial et d’aménagement du territoire, qui visent la lutte contre l’étalement urbain et l’utilisation rationnelle du territoire et des ressources, le développement socio-économique et de l’attractivité territoriale, la gestion qualitative du cadre de vie et la maitrise de la mobilité ; les principes de mise en œuvre des objectifs (notamment ceux liés au renforcement des centralités urbaines et rurales) ; la structure territoriale (la structure bâtie, la structure bâtie et les réseaux de communication et de transports d’énergie et de fluides). |2|

A Verviers, un tel Schéma (anciennement Schéma de structure) existe depuis 2011. Cette année, le Conseil Communal a décidé d’entamer sa révision, afin de « prolonger et préciser les objectifs du schéma actuel en regard des acquis de la dernière décennie et des priorités communales actuelles et à venir » |3|. Et pour démarrer, l’intention était de « concerter et entendre les habitants ».

Une consultation citoyenne préalable

Les démarches effectuées en ce sens et leurs résultats ont été partagés par les auteurs de projet |4| dans la première partie de leur présentation – ambitieusement intitulée « Co-construction ». Les enjeux annoncés étaient de « concerter largement, tisser du lien entre tous les acteurs ; partager l’information ; recueillir les avis » |5|.

600 personnes – tirées au sort – ont été invitées par un courrier personnel à participer à une balade urbaine le 21 septembre ; 50 d’entre elles ont participé – deux heures à la (re)découverte du territoire, pendant lesquelles les auteurs de projet ont récolté leur parole et avis. En octobre, un atelier a été proposé aux enfants du Conseil communal, invités à dessiner le territoire de leur ville idéale, et à lister ce qu’ils aiment et ce qu’ils aiment moins à Verviers. Enfin, un questionnaire a été mis en ligne du 1er au 31 octobre, 276 réponses ont été récoltées – sur quelques 55 000 habitants, dont 41 000 environ de plus de 20 ans |6|. Faisons le calcul : cela nous donne un taux de participation (confidentiel) de 0,67 %.

Force est donc de constater que l’annoncée « large concertation » est bien maigre dans les faits. Dès lors, quelle peut être la valeur de ces démarches participatives ? S’interroger sur leur plus-value revient, plus globalement, à poser ces deux questions fondamentales : pourquoi la participation ? Et en vue de quoi ?

La participation : pourquoi et comment ?

La question de la participation citoyenne à la gouvernance est régulièrement soulevée. Il semble que désormais, au-delà des procédures prévues par le législateur (dans le domaine de l’urbanisme, les enquêtes publiques, principalement), la participation soit à la mode |7| ; elle est donc admise, voire recherchée par les décideurs. Cependant, au vu de ce qui est actuellement mis en place à Verviers, nous ne pouvons qu’interroger la motivation sous-jacente des édiles et la pertinence de la méthodologie choisie.

L’échelle de participation, proposée en 1969 par l’américaine Sherry Arnstein, offre à ce sujet une grille de lecture intéressante. Lorsque la participation se résume à une consultation – « des enquêtes ou des réunions publiques permettent aux habitants d’exprimer leur opinion sur les changements prévus ; on ne tient aucun compte de leur avis » |8| –, on se situe au niveau de la coopération symbolique : les citoyens peuvent avoir accès aux informations et se faire entendre. Mais ils n’ont pas le pouvoir de s’assurer que leurs avis seront pris en compte par ceux qui ont le pouvoir.

Les verviétois ne sont pas dupes : plusieurs interpellations de la salle, lors de la soirée du 27 novembre, avaient pour objet la méthode et la valeur de la participation qui leur a été proposée. La consultation en ligne, disponible pendant un mois, n’a pas bénéficié d’une communication adéquate de la part de la Ville – comme l’illustre son taux de participation particulièrement faible. Par ailleurs, les avis récoltés par cette voie laissent songeur : lorsque l’on lit que 83% des sondés vivent dans une maison, que 80% sont propriétaires de leur logement et que tous en semblent contents... Il parait évident que seule une petite partie de la population, (la plus) privilégiée, a été touchée par cette enquête. Alors qu’un des deux bureaux officiant comme auteur de projet est spécialisé dans la participation, nous regrettons que celle-ci n’ait pas été poussée plus loin.

Dans un processus participatif à l’échelle d’une ville, il est essentiel de pouvoir toucher tous les habitants, dont les plus précarisés. Il est évident qu’une simple enquête en ligne ne peut satisfaire ce besoin de sonder des personnes habituellement exclues de l’usage des NTIC, de la langue écrite et/ou même de la langue française... Or nous savons qu’à Verviers, cette frange de la population constitue une part importante de la population du centre-ville. Viser une large consultation nécessite donc de mettre en place une méthodologie adaptée, en allant à la rencontre des habitants via les lieux et canaux usités par ceux-ci. Comme l’intention de cette phase de consultation était de « tisser du lien entre tous les acteurs », comment se fait-il que les nombreux acteurs associatifs, par exemple, n’aient pas été associés afin de toucher ce public ? Il n’y a eu aucune volonté manifeste de « bouleverser les priorités de la planification, en consacrant moins de temps à préparer des documents complexes et détaillés d’analyses et de stratégies au profit de l’accent mis sur la création et/ou le renforcement des réseaux participatifs en vue de les transformer en un secteur supplémentaire du processus décisionnel » |9|.

C’est ainsi qu’offrir une participation plus symbolique qu’autre chose peut s’avérer plus néfaste que constructif pour les relations entre élus et citoyens. En ne mettant pas les moyens adéquats en oeuvre afin d’atteindre son objectif de « co-construction » – peut-être par manque de compréhension réelle de ce qu’est, ou devrait être, une participation active : un processus permettant aux citoyens de prendre une part active à la prise de décision et à la formulation des politiques publiques, par exemple par des groupes de travail ouverts, des panels de non-spécialistes et des processus de dialogue |10| –, le tandem maitre d’ouvrage et auteurs de projet s’attire inévitablement les reproches, parfois vifs, de la population.

Quelle place pour la parole des enfants et des adolescents ?

Un certain malaise plane également autour de la consultation des enfants. Ceux-ci ont pu exprimer – lors de l’atelier à destination exclusive du Conseil communal des enfants – leur ville idéale, faisant ressortir une série de points saillants : ce qu’ils aiment (leur école, leur quartier, les espaces qu’ils fréquentent), ce qu’ils aiment moins (les déchets présents partout, la pollution, les « crasses », les crottes de chiens sur le trottoir) et la ville dont ils rêvent (moins fréquentée par les voitures, où la place de l’écologie serait plus présente, dans les pratiques comme dans la présence d’une nature en ville). Par ailleurs, ils sont plusieurs à réclamer la gratuité pour ce qu’ils aiment – magasins, piscine, glaces... |11|.

Nous nous interrogeons cependant sur l’usage qui sera fait de leur parole. Roger Hart a adapté et augmenté l’échelle de participation d’Arnstein afin de réfléchir plus spécifiquement sur la participation des enfants à divers projets |12|. Les trois premiers échelons vont de la manipulation à la politique de pure forme, et constituent donc des stades de non participation. Dès le quatrième (l’échelle en compte huit), on progresse dans les degrés de participation, de la plus élémentaire – les enfants comprennent les objectifs du projet auquel ils participent, savent qui décident de leur participation et pourquoi – à la plus aboutie – un projet initié par les enfants, avec des décisions prises en accord avec les adultes.

Quelle est la volonté de la Ville de Verviers d’intégrer réellement les apports des enfants dans la suite de ses réflexions ? Prendra-t-elle au sérieux les souhaits émis par les enfants ? De quelle(s) manière(s) ? Ces questions restent, pour l’instant, en suspens. Afin de permettre à ces jeunes de vivre une expérience positive et constructive de la participation, il sera évidemment fortement recommandable d’en assurer un suivi consistant dans la suite de l’élaboration du SDC.

Par ailleurs, nous notons que les adolescents sont les grands oubliés de la consultation : il n’y a eu aucune démarche spécifique à leur égard, et ils représentent moins de 2% des participants à l’enquête en ligne – ils auraient donc été maximum quatre ou cinq à y répondre, ce qui est à nouveau largement insuffisant pour être représentatif. D’autant plus que les préoccupations adolescentes quant à l’aménagement du territoire sont nécessairement particulières : les sonder spécifiquement aurait dès lors constitué une excellente initiative.

En conclusion...

A ce stade d’élaboration, la consultation citoyenne dans le cadre du Schéma de développement local n’était pas obligatoire ; elle ne le sera qu’ultérieurement, lors d’une enquête publique après adoption par le Conseil communal du projet de SDC. Ainsi, la Ville de Verviers a anticipé et signé une belle initiative en recherchant dès à présent la participation citoyenne ; cependant, nous aurions apprécié qu’elle soit menée avec une plus grande préoccupation de toucher davantage d’habitants des différents quartiers, et en soignant la représentativité.

En effet, les enjeux concernant l’aménagement et la gestion du territoire sont clairement (et depuis longtemps) identifiés à Verviers – notamment le redéploiement du centre-ville, l’apport de lieux de convivialité, la sortie d’une certaine « ghettoïsation » ou encore l’arrêt de l’étalement urbain et la conservation des espaces de biodiversité en périphérie –, ils ne nécessitent donc plus de longues études préalables. L’actualisation du SDC pourrait donc davantage se centrer sur une réelle co-construction novatrice, où tous les citoyens pourraient émettre non seulement des avis, mais aussi des recommandations, et assurer un suivi, voire un certain contrôle, du processus d’élaboration. Evidemment, cela nécessite certains efforts s’inscrivant dans la durée, car « le renforcement des relations entre l’administration et les citoyens est une activité sérieuse qui peut entraîner des effets très positifs – à condition qu’on l’exerce avec beaucoup d’attention et de soin. » |13| Affaire à suivre à Verviers...

|1| Art. D.II.9-10 du CoDT. Voir http://lampspw.wallonie.be/dgo4/site_amenagement/site/directions/dal/sdc (dernière consultation le 17/12/2019)

|2| Ibid.

|3| Mission d’auteur de projet. Révision du Schéma de structure communal ayant acquis valeur de Schéma de développement communal. Document de synthèse de la réunion plénière du 27 novembre 2019, Commune de Verviers, Alphaville et XMU.
http://www.verviers.be/vivre-a-verviers/schema-de-developpement-communal/2019-11-27-verviers-sdc-pleniere-v2.pdf

|4| Les cabinets Alphaville et XMU.

|5| Mission d’auteur de projet. ..., op. cit.

|7| Comme le souligne notamment Joaquin Farinos Dasi : « C’est presque inconditionnellement qu’on défend la cause de la participation, avec enthousiasme qu’on l’encourage. Plus qu’un moyen, elle est devenue une fin en soi. Elle est à la mode, c’est un fait, sans que l’on sache à quoi elle doit servir, comment distinguer la « bonne » participation de la « mauvaise », ou seulement comment l’identifier alors même qu’on se demande quel niveau de participation peut être recherché ou acceptable en politique et en pratique. »
Joaquin Farinos Dasi, Le défi, le besoin et le mythe de la participation à la planification du développement territorial durable : à la recherche d’une gouvernance territoriale efficace, in : Armand Colin, « L’information géographique », 2009/2, vol. 73, p. 105-106.
https://www.cairn.info/revue-l-information-geographique-2009-2-page-89.htm (dernière consultation le 24/12/2019)

|9| Joaquin Farinos Dasi, op. cit., p. 93.

|10| Des citoyens partenaires. Manuel de l’OCDE sur l’information, la consultation et la participation à la formulation des politiques publiques, 2002, p. 16.
https://www.oecd-ilibrary.org/docserver/9789264295575-fr.pdf?expires=1576747536&id=id&accname=guest&checksum=862AC0D8AD0594AD8E206561019CE02A (dernière consultation le 20/12/2019)

|11| Mission d’auteur de projet. ..., op. cit.

|12| http://www.allier.gouv.fr//IMG/pdf/echelle_de_hart_unicef.pdf (dernière consultation le 24/12/2019)

|13| Des citoyens partenaires, op. cit., p. 26.

Cette publication est éditée grâce au soutien du ministère de la culture, secteur de l'Education permanente

 

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