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La démocratie selon M. Daerden : le sondage d'opinion au lieu du débat public

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En confirmant son intention, déjà annoncée au printemps dernier, de faire réaliser un sondage d’opinion concernant l’autoroute Cerexhe-Heuseux/Beaufays (CHB), envisagée à l’Est de Liège, entre la E40 et la E25, le ministre Michel Daerden montre à quel point il est aux abois : incapable d’emporter l’adhésion sur le projet qu’il défend depuis des années, il s’en remet au sondage d’opinion, auquel il fera dire ce qu’il veut. Aveu de faiblesse ou manœuvre pré-électorale ?

Quoi qu’il en soit, il dévoile, ce faisant, la peu reluisante conception de la démocratie qui est la sienne. Les sondages d’opinion posent en effet de lourdes questions théoriques. De nombreux auteurs ont remis profondément en cause leur validité conceptuelle |1| en montrant notamment qu’ils contribuent au moins autant à fabriquer l’opinion publique qu’à la mesurer.

C’est particulièrement vrai dans le cas présent. Comment prêter le moindre crédit à la soi-disant « neutralité » d’une procédure voulue par un ministre qui désinforme à tour de bras ? Ses principales affirmations techniques sont en effet littéralement démenties par l’étude d’incidence du projet, qu’il s’obstine pourtant à ignorer et dont nous suggérons la lecture — fût-elle longue — à tous ceux qui s’intéressent au dossier. Non, CHB ne « désengorgera » pas le tunnel de Cointe pas plus qu’elle ne constituera une réponse à la saturation du « ring Nord » ni ne dégagera les axes de pénétration à l’Est de Liège.

Quant au budget de la liaison, il a effectivement explosé, mais le chiffre de 400 millions d’euros cité aujourd’hui par le ministre est d’ores et déjà obsolète. Certains techniciens chargés de réaliser l’autoroute parlent à présent de 600 millions d’euros et on en vient à se demander, notamment en raison des difficultés géologiques rencontrées dans le franchissement de la Vesdre et de l’expérience des grands projets autoroutiers précédents qui ont tous connu une dérive budgétaire importante, si la barre du milliard d’euros ne sera pas in fine franchie. L’avis de nos concitoyens est vraisemblablement de nature à varier selon qu’on attire ou pas leur attention sur ce point : ces douze kilomètres et demi d’autoroute, qui ne résoudront aucun problème de mobilité, vont coûter quasiment autant que tout le « plan Marshall » wallon, c’est-à-dire entre 500 et 1000 euros d’argent public pour chaque famille wallonne... Soit dit en passant, pourquoi n’interroger, dans le cadre de ce sondage, que les habitants de 24 communes alors que ce sont tous les Wallons qui payeront cette autoroute ?

Autre biais : on sait que CHB va puissamment accentuer le phénomène de péri-urbanisation, à rebours complet des impératifs énergétiques — et donc climatiques — et des discours en matière d’aménagement du territoire. Avec pour conséquences l’appauvrissement du cœur urbain de Liège, la destruction par les lotissements des paysages bocagers des pays de Herve et d’Aubel, l’augmentation de la demande de mobilité automobile et donc la dépendance énergétique, la fragilisation des transports publics... Ceux qui rêvent d’une villa « à la campagne » vont-ils s’opposer à une autoroute qui faciliterait ce mode de vie ? Il faut l’espérer. Car la question à poser ici, si l’on veut un tout petit peu préparer l’avenir, un tout petit peu anticiper les difficultés qui nous attendent, est moins « Quel est notre désir ? » que « Que pouvons-nous nous permettre ? »

En faisant réaliser ce sondage sans accepter, préalablement, la tenue d’un débat public contradictoire, sans même avoir jamais accepté de rencontrer les opposants au projet, M. Daerden fait preuve du populisme le plus cru. La démocratie consiste, selon nous, à permettre à chacun de prendre en main notre destin collectif, à partager le plus possible le pouvoir. M. Daerden fait exactement l’inverse : il cherche à nous maintenir dans une situation de minorité par rapport à un enjeu pourtant déterminant pour notre avenir.

Demain, parce que la Région wallonne manque de moyens et se sera endettée au-delà du raisonnable (d’une façon cachée, qui plus est, hors budget, via des mécanismes de « financement complémentaire »), on présentera certains choix politiques et budgétaires très douloureux comme inéluctables : il faudra faire des économies, l’austérité sera la seule politique possible. C’est maintenant que ce débat doit avoir lieu !

François Schreuer
Président de l’asbl urbAgora

Frédéric Falisse
Président de l’asbl Groupement CHB

|1| Lire notamment Pierre Bourdieu, « L’opinion n’existe pas » in Les Temps modernes, 318, janvier 1973 ou Patrick Champagne, Faire l’opinion, Editons de Minuit, 1990.

 

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