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Saint-Nicolas et ses terrils

De la lecture d’un paysage à l’écriture d’une randonnée urbaine

mercredi 22 août 2018, par Luca Piddiu

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La randonnée urbaine Liège Orbitale a pour vocation d’arpenter la ville sous de multiples facettes, de décaler le regard sur des lieux, des singularités spatiales, qu’il nous est impossible de percevoir en empruntant la voiture ou d’autres moyens de transports. Seule la marche, en partie exploratoire, fournit cette occasion de poser les yeux. En avril 2018, une de ces ballades passe par la commune de Saint-Nicolas, à Liège. L’occasion de redécouvrir cet ancien fief ouvrier, ses caractéristiques, ses histoires, ses secrets, bref, de se réapproprier un territoire.

L’appellation de Saint-Nicolas témoigne à lui-seul de la riche histoire de cette commune liégeoise. A l’origine sanctuaire dédié au saint patron des enfants, mais aussi des marins et des marchands, il fut érigé en 1147 et consacré par l’évêque liégeois Henri II de Leez, puis transformé en prieuré. La commune de Saint-Nicolas s’étale sur trois versants, dont deux sont parcourus par la randonnée. Elle fut jadis traversée par des ruisseaux ayant laissés plusieurs patronymes : ceux-ci sont canalisés et maintenant invisibles. Le Horloz et le Grimber, entre autres, se jetaient dans la Meuse à Tilleur. Le Grimber a donné le nom Grimbérieux, patronyme d’une ancienne famille propriétaire, de même que Horloz, qui à l’origine voulais dire canal (Hore ou Xhorre). Le Horloz, pour sa part, doit sa postérité à la fosse qui a été exploitée dès 1790 pour la houille et qui donnera son nom à la Société anonyme du Horloz, fusionnée par la suite avec la Société de La Haye, liégeoise également, témoignant de l’histoire minière de cette région.

Traces rouges et noires : le patrimoine industriel

L’ancien passé minier est d’ailleurs encore visible par les terrils qui n’ont plus toujours la forme pointue comme il en va du terril du Bonnet, partiellement arasé, d’autant plus que peu d’espaces sont restés à nus et quelques « plaques » subsistent sur le petite terrain du Bonnet, permettent de retrouver les fossiles de végétaux de l’époque des dinosaures,...

En arpentant les alentours du terril, on peut apercevoir des pierres rouges issues de la partie périphérique du Bonnet, résultant de l’activité de combustion spontanée |1| qui a perduré jusqu’en 2000 environ, donnant à la roche cette teinte de brique particulière, faisant écho aux maisons ouvrières des quartiers populaires des bassins industriels wallons.

Autre vestige de l’époque industrielle, les traces ferroviaires sont également disséminées dans le paysage et sont concomitantes des exploitations de charbons, les wagonnets le transportant aisément sur de longue distance. Les lignes sont maintenant désaffectées et plusieurs pont en briques sont rebouchés, l’un situé dans la rue Saint-Nicolas au niveau de la banque, un autre rue Francisco Ferrer, à hauteur du cimetière. Le grand pont métallique qui domine la vallée au dessus de la rue Nicolay constitue quant à lui une ligne de fret qui, entre autre, reliait les fonderies de Seraing aux halls de laminage de Chertal, pour le transport des emblématiques et impressionnants wagons thermos contenant de l’acier en fusion.

Avant la fermeture de l’exploitation minière, les habitants de Saint-Nicolas avaient la vie rude : leurs maisons bordant la route, les camions d’exploitation passaient toute la journée à peine un ou deux mètres de leurs logis. Les habitations, construites par les compagnies extractrices dans des rues étroites, étaient devenues un environnement quotidien de vibrations, de bruit, de boue et de poussière. Leurs façades étaient devenues noires comme le charbon. Il était difficile, voire dangereux de circuler, ou même de jouer dehors. Cependant, plusieurs places publics servaient périodiquement aux forains et à leurs attractions, tandis que le Grand Saint en personne passait avec son âne pour rencontrer les enfants le jour tant attendu de sa fête.

Enfin, les pylônes : le paysage de la commune n’existerai pas sans ses pylônes. Difficile de faire une photo sans ces silhouettes de dentelles d’acier : trace du bassin sidérurgique et des centrales électriques situées en vallée, les câbles remontent les pentes perchés sur les pylônes qui traverse en ligne presque droite les terrains de toutes sortes (habitat qui s’est implanté par après, terrils...) pour électrifier les différentes villes du plateau de Hesbaye.

Traces vertes et brunes : le patrimoine naturel

Un vieux dicton dit : « Quand les crapauds chantent, le beau temps s’avance ». Si vous passez à proximité d’un terril (celui du Bonnet ou du Gosson), par une nuit chaude et humide, comme en donnent l’occasion ces averses d’été, vous aurez peut-être la chance d’entendre le concert des crapauds chantants. Ceux-ci sont en général assez discrets et vivent cachés, isolés sous les pierres et branchage. Les mares à proximité desquelles les batraciens vivent accueillent au printemps oeufs et têtards, côtoyant les libellules. L’or noir s’est aujourd’hui transmuté en or vert : les terrils sont classés comme sites de grand intérêt biologique, et il arrive de croiser, en fonction de la saison des espèces rares ou protégées.

La dimension de nature propre à Saint-Nicolas ne date pas uniquement des viviers biologiques que représentent les terrils, mais sont aussi à mettre au crédit de son passé forestier. Un passé qui se retrouve également, à l’instar de ses traces industrielles, parmi les patronymes des rues saint-clausiennes. On peut notamment citer la rue des Noyers ou la rue de Lhoneux, à l’endroit du lieu-dit « è l’ôneau », qui en wallon, se réfère au bois d’aulnes, faisant partie de la grande forêt de Glain, au nord. Lhoneux est ainsi devenu le patronyme d’une famille installée là depuis le XVIe siècle. En terme d’agriculture, la culture céréalière existait jusqu’en 1950, et la culture maraîchère se poursuit toujours, les champs de choux constituent encore les jardins qui approvisionnent les marchés de Liège.

Les terrils aujourd’hui : des enjeux touristiques, patrimoniaux, pédagogiques

Aujourd’hui, les terrils de Saint-Nicolas peuvent être visités via un parcours touristique nommé « Pays des Terrils », et comprenant le Malgarny, les terrils d’Espérance, du Bonnet et du Gosson. Ce dernier accueille d’ailleurs un centre d’accueil touristique, autrefois le lavoir du Gosson, proposant des activités touristiques et pédagogiques.

En matière de législation, une nouvelle classification commencée en 2018 a pour objectif de changer le statut de ces zones particulières, aujourd’hui uniquement économiques et déterminant l’exploitabilité du terril, en zones touristiques et culturelles. L’objectif du code des sous-sols de la Région wallonne est d’aboutir à une gestion spécifique de ces lieux, permettant à la fois l’accueil des touristes dans des cadres plus réglementés et, surtout, une protection environnementale. Il s’agirait en l’occurrence surtout d’entériner des pratiques déjà initiées partout en Wallonie et plus spécifiquement dans le Hainaut. À ce titre, l’institutionnalisation de ces aspects touristiques et patrimoniaux est la plus grande dans le bassin de Charleroi, là où l’histoire du charbon, plus qu’ailleurs en Wallonie, fait partie de l’identité du territoire. L’asbl Charleroi Nature a, notamment, joué un rôle prépondérant dans ce défrichage, en collaboration avec la ville de Charleroi et son échevinat de l’environnement (classification des terrils, publication d’un atlas des terrils de Charleroi,...).

La randonnée urbaine s’inscrit dans cette continuité. Elle permet de suspendre le regard, de découvrir des endroits seulement connus des habitants vivant à proximité, d’ordinaire aperçus de façon passagère, à l’instar des silhouettes des terrils déformant brièvement la ligne d’horizon. Mais elle laisse aussi entrevoir, dans un temps de réflexion et d’apprentissage, la réappropriation de patrimoine partagé, de « biens communs » : non pas uniquement à travers la perception sensorielle du lieu, mais aussi grâce à la compréhension de son histoire, de ses enjeux, passés et présents, à travers des traces et autres instruments méthodologiques encore à expérimenter (la narration, l’histoire contée |2|, par exemple). À une époque de préoccupation environnementale, ces lieux, concrets et vivants, peuvent aider à tracer un trait d’union entre la route qui nous a amenés là (l’époque industrielle, avec ses gloires et ses tragédies) et ce qu’il est possible de construire par delà, des espaces de vie et de mémoire, imbrication entres hommes et autres formes de vivant, au sein même de l’air urbaine liégeoise.

Luca Piddiu, avec Véronique Claeys

|1| La combustion spontanée peut provenir peut être initiée par une réaction exothermique issue de la pyrite rentrant en contact avec l’air et des sources d’eau. La schiste rouge indique la présence de combustions passées tandis que des volutes de fumée (cheminées de combustion) renseignent celles en cours.

|2| Une histoire qui mériterait d’ailleurs de laisser une place à l’histoire des peuples et des classes ouvrières, souvent éclipsées par l’Histoire des firmes et de la figures des grands hommes.

Cette publication est éditée grâce au soutien du ministère de la culture, secteur de l'Education permanente

 

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