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Tour des finances : un mauvais signal

mardi 14 février 2012,

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Source : Jaspers-Eyers

La question de l’aménagement de la nouvelle Place des Guillemins est un des quelques dossiers centraux de l’aménagement de l’espace public liégeois. Cette place fait l’objet de nombreuses incertitudes, comme nous nous en étions déjà inquiétés à de nombreuses reprises et notamment avec la plate-forme Guillemins.be |1|. Si l’on ne peut que se réjouir que la gare fasse l’objet d’investissements importants — l’avenir des villes dépendra en effet à notre sens de leur capacité à créer des polarités autour de leurs gares multimodales — les conflits d’intérêts que génère l’aménagement de cette place font des dégâts.

La construction de nouveaux bâtiments pour le Ministère des finances, en particulier, est révélatrice d’un certain nombre d’enjeux qui guident la prise de décision à Liège, notamment de conflits politiques ou de propriété foncière, au détriment d’une vraie réflexion sur les intérêts urbanistiques de la Place des Guillemins.

Malgré plusieurs interventions citoyennes |2|, nous avons appris avec beaucoup de regrets de 13 février que le Ministre Philippe Henry a validé la demande de permis d’urbanisme pour le projet de Tour des finances présenté par Fedimmo. Tour des enjeux et réaction d’urbAgora.

1. Cadrage contextuel des enjeux de la nouvelle Tour des Finances à Liège

Quelle que soit l’option retenue pour l’aménagement de la future place des Guillemins (options du tracé du tram, présence de logements, etc...), les bâtiments qui abritent l’actuelle administration des finances doivent être abattus pour des raisons de sécurité, au moins en partie, à brève échéance. Une polémique existe en effet autour de la sauvegarde de la tour Dedoyard, architecte liégeois connu notamment pour les Bains et Thermes de la Sauvenière (1942) classés en 2004 ou encore le Pont des Arches (1947). Cette tour témoigne en effet d’un intérêt patrimonial et architectural certain et mériterait d’être restaurée plutôt que détruite. Mais dans tous les cas de figure, de nouveaux bureaux seront nécessaires. Il faut donc savoir où ils seront construits, combien de bureaux seront nécessaires et qui va financer les travaux. C’est autour de ces questions que les choses se sont compliquées...

Les bâtiments des Finances appartenaient aux pouvoir publics jusqu’à ce que Didier Reynders, conseiller communal liégeoise et ministre des Finances, mette en œuvre une opération de Sell-&-Lease back au cours de laquelle il vend les bâtiments des Finances (entre autres) à Fedimmo, société privée, filiale de Befimmo, qui devient par là même le plus gros propriétaire foncier du quartier.

Source : Jaspers-Eyers

En 2009, les bâtiments étant obsolètes, la régie des bâtiments lance un appel à projet pour la construction de nouveaux bureaux. Il ne s’agit cependant pas d’un concours d’architecture, mais bien d’un appel à projet « clé sur porte » puisque le soumissionnaire doit apporter le terrain à bâtir... La ville de liège voulant à tout prix garder la fonction des finances dans le quartier (option qui se justifie, selon nous), seuls deux projets pouvaient techniquement être rentrés : un par la SNCB et un par Fedimmo, puisque ce sont les deux seuls gros propriétaires fonciers du périmètre concerné. La CNCB est en effet propriétaire des terrains situés à la rue du Plan Incliné. Cependant, la SNCB a reçu une réponse négative à sa proposition (ou plus précisément une demande de rectification |3|), dans des délais intenables pour permettre une adaptation de sa proposition. Le projet Fedimmo a donc été retenu par défaut...

2. Le projet de tour Fedimmo

Il est situé à la place de l’actuel bâtiment, soit au carrefour du Quai de Rome, de la rue de Fragnée et de la rue Paradis. Fedimmo propose un projet assez important (65 000 m²) d’une tour monofonctionnelle, qui pose de facto la question des besoins en bureaux autour de la gare, ainsi que l’impact de cette option sur la vie dans le quartier après les heures de bureau.

Cette tour, de volume assez monolithique, est prévue pour une hauteur de 120 m (138 m avec la flèche). On notera le peu de place accordée à la végétation, ainsi que de faibles performances énergétiques du bâtiment.

Dans un projet d’une telle ampleur, il nous semble nécessaire de s’interroger sur la nature (aménagements de voiries, création d’espaces publics, équipements collectifs, logement social à proximité) et le montant des charges d’urbanisme qui seront imposées au promoteur par l’autorité délivrant le permis. Ce sujet et ce moyen d’action ne font jusqu’à présent guère l’objet de débats en région liégeoise. Ils sont pourtant un des moyens non négligeable de l’action publique.

3. Réaction d’urbAgora

Si nous ne nous sommes jamais opposés au principe d’une tour, nous avons toujours affirmé que celle-ci n’était acceptable qu’à trois conditions.

— L’organisation d’un concours d’architecture. L’impact paysager d’une telle construction — qui sera visible depuis de très nombreux points du territoire — suppose une exigence de qualité renforcée. En laissant, dans sa procédure de sélection, toute latitude au promoteur sur ce plan, la Régie des bâtiments s’est montrée particulièrement désinvolte à l’égard de la ville et de ses habitants. Les autorités communales puis régionales auraient pu — dû — réagir et insister sur cette dimension, notamment en conditionnant la délivrance du certificat (CU2) puis du permis d’urbanisme à l’organisation d’un concours d’architecture. Il n’en a rien été. Le résultat, c’est que ce projet est loin d’être à la hauteur de l’ambition architecturale affirmée, au cours des dernières années, par les autorités communales, qui parlent volontiers, à propos des Guillemins, d’un « axe du XXIe siècle ».

— Une mixité fonctionnelle. Une tour située à cet endroit aurait dû, selon nous, intégrer du logement et/ou d’autres fonctions susceptibles d’animer l’esplanade et d’éviter que la tour ne soit visuellement « morte » dans le paysage à partir de 17 h. En laissant construire un colosse monofonctionnel, on « stérilise » tout un pan de ville. On espérait une esplanade vivante et animée, on risque d’avoir un désert venteux.

— Le respect du gabarit envisagé dans le plan Dethier. La construction en hauteur peut se justifier dans certaines circonstances. Elle doit cependant s’inscrire dans un contexte. Nous considérons que le gabarit (75 m) envisagé dans le Master Plan réalisé par Dethier & alii à la demande de la Ville constitue une échelle adéquate. L’immeuble démesuré (138 m avec la flèche) et extrêmement massif (particulièrement vue depuis la rue de Fragnée ou la gare) proposé par Fedimmo n’est pas adapté à l’environnement dans lequel il prétend s’intégrer.

En ce qui concerne le reste de la parcelle Fedimmo, nous nous réjouissons qu’une préoccupation soit affirmée par le ministre en faveur d’un développement urbanistique de qualité (il est question d’un concours international d’architecture) et orienté vers le logement, conformément à la volonté de la majorité des acteurs du dossier, à commencer par la Ville de Liège, qui a pris des engagements en ce sens. Nous nous interrogeons cependant sur la nature des garanties que le ministre dit avoir obtenues de Fedimmo. Sans de telles garanties, le risque est grand à nos yeux que ces engagements s’évanouissent une fois les travaux de la tour entamés, et que l’opération urbanistique qui aura entouré la réalisation de la gare des Guillemins ne se solde in fine par une diminution du nombre de logements dans le quartier.

Quant aux espaces publics, tout laisse aujourd’hui penser que leur aménagement sera pris en charge par les pouvoirs publics (sans doute dans le cadre du financement du tram) alors qu’il eut été naturel que le promoteur les finance au titre des charges d’urbanisme.

Nous constatons encore que l’attitude du ministre dans ce dossier de la Tour des finances fait penser à celle qu’il a tenue dans le dossier « City Mall » à Verviers. Sous prétexte de défendre la centralité urbaine, il a, dans les deux cas, autorisé des projets inadaptés à leur contexte et particulièrement médiocres, recourant dans les deux cas à un argumentaire hybride assez déconcertant qui mélange une posture formelle (selon laquelle la décision serait juridiquement mécanique et donc pas ou peu politique) et une appréciation de fond (sur la pertinence des projets, notamment en lien avec le thème de la centralité, voire, dans le cas présent, sur leur nécessité). On note d’ailleurs que, dans les deux cas, celle-ci va violemment à l’encontre de la position défendue par son parti au niveau local.

Nous affirmons quant à nous que la centralité urbaine ne peut être défendue sans un travail sur l’architecture. L’intervention dans des contextes urbains complexes suppose en effet sensibilité, subtilité et capacité de dialogue — qualités notoirement absentes du processus ayant abouti au projet face auquel nous nous trouvons.

Il nous reste à espérer que, comme il l’a fait à Verviers, le Conseil d’Etat donnera raisons aux riverains requérants dont nous devons constater, face à de tels projets, qu’ils deviennent des défenseurs de l’intérêt général.

|1| Voir sur le site www.guillemins.be, ainsi que le texte de Gérard DEBRAZ, Cyril SOLDANI et François SCHREUER : Quel devenir pour le quartier des Guillemins ?, publié sur Le Chaînon Manquant, http://lechainonmanquant.be/en-ville/quel-devenir-pour-le-quartier-des.html

|2| Rappelons que la plate-forme Guillemins.be regroupe des acteurs qui n’ont pas forcément l’habitude de travailler ensemble et qui ont pu s’accorder autour de revendications communes : le comité de quartier Fragnée-Blonden, l’Association des commerçants de la rue des Guillemins, le Comité des riverains de la gare, la section liégeoise du Gracq, le comité de quartier Bronckart et de l’asbl urbAgora

|3| Un CU2 conditionné, sorte de pré-permis accordés pour peu que le projet se conforme à toute une série de recommandations.

Cette publication est éditée grâce au soutien du ministère de la culture, secteur de l'Education permanente

 

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