La presse liégeoise a rendu compte, la semaine dernière |1|, du projet de métro |2| aérien automatisé proposé par Pierre Arnould. L’élément principal de cette proposition consiste en un tronçon de transport en commun automatisé reliant les Guillemins à la place Saint-Lambert, circulant sur une voie unique en hauteur (laissant quatre mètres entre le sol et l’infrastructure) et doté de deux arrêts intermédiaires (Pont d’Avroy et Blonden) qui sont aussi les points où se croisent les véhicules (ce type d’exploitation, très exigeante, étant rendue possible par la grande précision horaire d’un système automatisé). À ce tronçon principal s’ajoute la proposition d’une ligne de tram reliant Fontainebleau à Cornillon. L’actuelle ligne 4 (qui pourrait également, dans ce schéma, être convertie en tram) se voit amputée de son segment central et relie les Guillemins à la place des Déportés, via le Longdoz et Outremeuse, mais sans passer par le centre (figure 1).
Ce projet radical appelle de notre part quelques commentaires. À commencer par souligne les points de convergence avec la proposition d’urbAgora, notamment au niveau du tracé : Pierre Arnould, comme nous, souligne la nécessité d’un réseau maillé, plaide pour le passage du transport en commun structurant en rive droite de la Meuse tandis que son schéma ressemble fortement, du moins du point de vue des voiries qu’ils empruntent, à celui de la première phase que nous proposons. Les poins de divergence sont cependant nombreux et concernent principalement le domaine de l’exploitation du réseau.
L’investissement. Le coût avancé par PA pour la réalisation de la ligne reliant les Guillemins à la place Saint-Lambert (environ 3 km |3|) est de 75 millions d’euros |4|. Ce chiffre est un peu plus élevé que celui de la réalisation d’un tram sur le même tronçon, qui, compte tenu de l’existence d’un site propre de bus sur les boulevards presque de bout en bout, ne devrait pas dépasser 40 ou 50 millions d’euros (en considérant dans les deux cas tous les coûts : matériel roulants, dépôts, aménagements urbains,...).
Le coût d’exploitation. Le pari de l’automatisation consiste à compenser un investissement éventuellement plus important (c’est le cas ici) par des coûts d’exploitation réduits au minimum en raison de l’absence de personnel dans les rames. Ce pari nous semble risqué, voire dangereux. Il est à craindre qu’il s’avère intenable et que cette évolution technique revienne à remplacer des chauffeurs par des surveillants. Notons cependant un autre avantage de l’automatisation : elle permet un gain très appréciable sur le plan de la consommation d’énergie (les freinages étant limités au strict minimum). Au final, le coût d’exploitation devrait donc rester moindre que pour un mode de transport « classique », mais dans une proportion moindre qu’escompté.
La capacité. Tel que proposé, le système présente une capacité de 3 200 usagers par sens et par heure (avec une seule voiture, de 18 m, par rame) et permet, par une extension des stations à réaliser ultérieurement, de monter à deux voitures par rame (36 m) et donc d’atteindre 6 400 usagers par sens et par heure |5|. Même en montant à 6 400 u/s/h, la capacité restera cependant insuffisante à moyen terme, ce que montrent non seulement les comptages réalisés début 2008 par le TEC mais surtout les scénarios de réorganisation du réseau, qui demanderont, sur cet axe, des capacités beaucoup plus importants qu’actuellement. Ajoutons que le système proposé par PA ne permet pas d’augmentation de capacité au-delà du seuil des 6 400 u/s/h : conçu sur base d’une ligne unique dotée de deux points de croisements intermédiaires qui sont aussi les points d’arrêts et dont l’emplacement est calculé en fonction de la vitesse de circulation des rames, il ne permet pas l’ajout de nouvelles rames sans créer de nouveaux points de croisement. La seule variable d’ajustement — déjà exploitée — était donc l’allongement des rames. Sur ce point, le tram apparaît beaucoup plus modulable (puisqu’il est possible d’augmenter progressivement le nombre de caisses au fur et à mesure que la demande augmente). Il faudrait éventuellement prévoir, dès le début de projet, la taille des stations en fonction de cette perspective. Pierre Arnould répond à cette objection en proposant de maintenir un trafic de bus sous le monorail (ce qui a évidemment un coût, qui doit être intégré aux calculs ébauchés ci-dessus). Cette réponse présente cependant un avantage qui est de maintenir — en proposant un service à deux vitesses, à l’instar du métro new-yorkais — une desserte fine des arrêts actuellement situés le long du parcours (alors que le monorail ne marque quant à lui que deux points d’arrêts intermédiaires sur tout son parcours, ce qui serait fort peu sans la desserte de bus complémentaire).
La multiplication des ruptures de charge. La proposition complète s’articule autour de multiples tronçons courts, qui multiplient les ruptures de charge (les « correspondances »). On sait pourtant que ces ruptures de charge sont particulièrement préjudiciables à l’attractivité des transports publics, tant pour des raisons de temps de parcours (le temps d’attente peut réduire à néant le gain obtenu par l’augmentation de la vitesse sur les tronçons rapides) que de confort (particulièrement pour les personnes lourdement chargées ou éprouvant des difficultés à se déplacer). Prenons quelques exemples. Une personne habitant Sainte-Walburge souhaite se rendre à la Médiacité. Il va lui falloir prendre un bus jusqu’à Hocheporte ou elle prendra la ligne 2 de tram jusqu’à la place Delcourt, ou elle prendra le bus 4 jusqu’à la place Brenu. Soit deux ruptures de charge contre une auourd’hui. Un autre usager des transports en commun réside Montagne de Bueren et souhaite se rendre place du Général Leman. Actuellement, deux lignes de bus l’y mènent directement. Dans le système de PA, deux ruptures de charge apparaissent sur ce parcours (ou un allongement significatif des distances parcourues à pied). Un habitant du quartier Saint-Léonard veut se rendre aux Guillemins : une rupture de charge là où il n’y en a aucune à ce jour. Un habitant des Vennes veut aller place Saint-Lambert : une rupture de charge là où il n’y en a aucune à ce jour.
Ce bilan est à comparer avec la proposition d’urbAgora (figure 2) dans laquelle le recours à la boucle centrale — où chaque ligne circule sur au moins une partie de son parcours — permet d’éviter la multiplication des rupture de charges. Mieux : chacune des stations du tram tel que proposé par urbAgora est directement relié (sans aucune rupture de charge) à la fois à la place Saint-Lambert et aux Guillemins (à l’exception de la ligne 4... qui dessert néanmoins 2 gares IC).
L’impact paysager. Si la présence d’un « monorail » peut être acceptable dans les frondaisons des boulevard d’Avroy et, quand les arbres auront poussé, de la Sauvenière, elle est franchement discutable devant le théâtre royal. Mais surtout, on imagine mal un tel monorail, circulant à 5 mètres du sol (à quoi il faut ajouter la hauteur des voitures : environ 3 mètres), traverser le centre ancien et passer, par exemple, devant les fenêtres du premier étage de la Violette ou dans l’étroite rue Feronstrée. Ce qui signifie que le système proposé pourrait difficilement être prolongé (en tout cas via Feronstrée, une alternative reste possible via les quais, ce qui pose d’autres problèmes) et resterait donc probablement un tronçon isolé au sein d’un réseau.
L’affectation de l’espace public. D’aucuns jugeront probablement que le recours à une technologie permettant de mettre le transport public « hors du trafic » est une bonne chose. Si elle permet effectivement une fluidité maximale au TCSP et évite quasiment tout impact sur la circulation automobile, cette option nous paraît cependant être une erreur. Dans un contexte où l’espace public a été véritablement colonisé par la voiture individuelle, où celle-ci de surcroît s’avère être une mauvaise solution de mobilité, puisqu’elle provoque elle-même sa propre inutilité, nous pensons qu’il est nécessaire d’affronter certains arbitrages éventuellement douloureux en vue de reconquérir l’espace public pour TC et les usagers non motorisés de la ville. Nous pensons que le tram constitue l’instrument de cet arbitrage et qu’il ne faut se dispenser de cette étape. Quant à la vitesse commerciale du tram, certes elle sera un peu moindre à celle d’un transport automatisé. Cette faiblesse est cependant relative (notamment grâce au recours au site propre et à la priorisation des feux de signalisation). Elle est aussi compensée par l’amplitude du service et le nombre moins important de ruptures de charge.
Une trop faible prise en compte de la périphérie. Enfin et surtout, la proposition de Pierre Arnould ne concerne que le centre-ville d’une aire urbaine qui compte plus de 500.000 habitants, en oubliant ou négligeant les communes de la périphérie — quelles solutions propose-t-on aux habitants de Seraing, Ans, Herstal ou Fléron ? — mais aussi les quartiers périphériques de la Ville de Liège — où sont Bressoux, Chênée, Sclessin ou Rocourt, dans le schéma ? Cette lacune est à nos yeux la plus grave.
Conclusion. L’opposition entre la vision proposée par Pierre Arnould et celle que défend urbAgora ressemble, à certains égards, au débat qui anime actuellement la Région bruxelloise entre la « Métrovision » défendue par la STIB |6| et la « Cityvision » proposée par le secteur associatif bruxellois |7|. Les mêmes enjeux s’y retrouvent : d’un côté (STIB et Pierre Arnould), l’orientation choisie est celle d’un équipement lourd et coûteux (le métro), très efficace sur les tronçons concernés mais ne touchant qu’une petite partie des usagers, de l’autre (Cityvision et urbAgora), il s’agit de déployer un réseau complet, peut-être moins spectaculaire, mais dont l’efficacité sera très supérieure pour améliorer la mobilité d’une grande majorité des usagers du réseau.